Le trompettiste Ambrose Akinmusire, trentenaire en 2012, a commencé sa vie d'homme dans un milieu optimal: Steve Coleman, David Binney, Vijay Iyer, John Escreet, Aaron Parks, Esperanza Spalding, Michel Portal...

À maintes reprises, on a remarqué ses talents de sideman avant la sortie de ses deux albums solo, surtout l'excellent When the Heart Emerges Glistening sous étiquette Blue Note, applaudi l'an dernier pour toutes les raisons qu'on a d'aimer le jazz.

«Pour la première fois, je viens à Montréal avec le contrebassiste Harish Raghavan, le pianiste Sam Harris [c'était Gerald Clayton sur l'album], le contrebassiste Justin Brown, le saxophoniste Walter Smith III. Il s'agit du même alignement sur scène depuis la sortie de cet album l'an dernier», a annoncé le musicien, joint en Californie.

«Je suis originaire d'Oakland, j'ai vécu à New York, et je viens de m'installer à Los Angeles avec ma fiancée. À vrai dire, je tourne tellement que je ne voyais plus l'avantage d'être à New York. Avec tous ces déplacements presque schizophréniques là-bas, j'étais en voie d'y devenir un robot. Mon collègue Walter Smith y vit également, les autres sont restés à New York, ce qui n'est pas vraiment un problème - avec les tournées et les connexions internet, nous nous retrouvons très souvent. Je souhaite ainsi garder cette formation intacte, car j'aime beaucoup la relation établie avec ces musiciens.»

Quant au discours sur sa propre musique, Ambrose Akinmusire préfère ne pas l'intellectualiser:

«Je porte un tatouage avec l'inscription suivante: Just do it. J'ai pour mon dire qu'il ne faut pas se laisser aspirer par les considérations sur sa propre position dans le monde de la musique ou dans quelque processus historique de la création. Généralement, trop penser à ce qu'il faudrait accomplir ne mène nulle part sur ce terrain. Alors je souhaite simplement faire ce que je peux, couvrir un maximum de territoire, m'exprimer à partir de ce que j'ai intégré. C'est tout ce qui m'importe. That's it

Allez, Ambrose, juste quelques précisions sur votre musique, pour en décrire la structure des ondes et leur vitesse de propagation. Quels sont les principaux ingrédients?

«Les principaux ingrédients sont humains. Les mouvements de cette musique tentent de suivre les mouvements propres aux humains. Leurs gestes, leur interaction, leur biologie. La trompette doit ressembler à la voix humaine, le rythme doit évoquer celui du coeur ou de la respiration. C'est ce que j'essaie de reproduire. De manière encore plus générale, les mouvements de la nature doivent se refléter dans ma musique.»

Difficile aussi de parler d'influences, mais Ambrose a accepté de s'y risquer:

«On y trouve certains éléments de polyphonie improvisée, comme ça se passait dans le jazz primitif. On trouve également le hard bop des Jazz Messengers sous la direction d'Art Blakey. Il y a de la musique sacrée afro-américaine, des éléments de jazz-fusion des années 70. On peut y percevoir des influences plus récentes, comme la musique de Jason Moran, Vijay Iyer ou Mark Turner. Il y a aussi du matériel qui émerge de nous-mêmes et pointe vers l'avenir. Ainsi, je crois que mon groupe tend à couvrir l'histoire entière du jazz, et plus encore. On peut y discuter autant de Jelly Roll Morton que de Squarepusher!»

Ambrose Akinmusire mène actuellement deux chantiers: un projet d'enregistrement public et un projet en studio. D'ici un an et demi, il prévoit lancer ces enregistrements, créés de concert avec la même formation qui vient à Montréal. «Nous y jouerons plusieurs pièces inédites, car mes musiciens sont du genre à se lasser de jouer ce matériel enregistré il y a près de deux ans.»

Pas de redite à l'horizon, aurons-nous saisi. Pour un genre musical que certains croient en déclin, Ambrose Akinmusire annonce exactement le contraire.

«Le jazz, estime-t-il, traverse une période difficile pour son économie, son image, son marketing, mais ne traverse absolument pas de difficultés sur le plan le plus important: celui de la création. Nous n'avons aucune maîtrise de notre image ou de notre médiatisation, mais nous savons pertinemment que le jazz ne souffre pas de carences créatives.»

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Le quintette du trompettiste Ambrose Akinmusire se produit au Gesù, demain à 22h30.