Un bon tuyau pour soigner petits et gros bobos de l'âme : un rendez-vous au cabinet du bon Docteur Lonnie Smith vous fera grand bien. Pour un deuxième soir consécutif à l'Upstairs, le toubib des sons y prodigue des soins que l'on pourrait qualifier de... cosmiques!

L'organiste, chanteur, compositeur et leader d'un superbe trio aura 70 ans ce mardi. La retraite ne pointe pas à l'horizon, ses diagnostics sont toujours avisés et favorisent grandement la guérison. Ce maître de la Hammond B3 se présente à son cabinet avec de jeunes professionnels d'enfer: le guitariste Jonathan Kreisberg et le batteur Jamire Williams.

Adepte de la religion sikh, celui qu'on nomme le Turbanator nous enrubanne de sa science. Plus d'un demi-siècle d'orgue nous contemple, pour évoquer une formule de Panoramix dans Astérix et Cléopâtre. Jeune homme, il faisait équipe avec un certain George Benson qui avait fait ses classes auprès de Brother Jack McDuff, alors grande étoile de la Hammond B3 avec qui notre regretté Nelson Symonds avait travaillé précédemment.

Les années 60,70, 80, 90 ont passé, et puis les zéro, puis les 10. L'orgue Hammond B3 a connu ses hauts et ses bas avant de devenir un classique. En 2012, Lonnie Smith impose toujours le respect et réussit encore à nous faire voyager dans l'espace. Son jeune collègue, le guitariste Jonathan Kreisberg ne le qualifie pas de magicien pour rien : le bientôt septuagénaire insuffle une vie très spéciale à cet instrument qui fut à l'origine du groove jazzy-funk.

Aujourd'hui, il fait usage de tous références à toutes les époques de la Hammond B3. Ces références coulent de source chez Lonnie Smith, un type qui a continué à chercher tout en maintenant intacts les fondements de son art, et qui lui associe parfois un chant étrange aux contours autodérisoires, toujours contagieux.

Prenons en exemple sa pièce Behive, une composition des plus exigeantes qu'il amorce aux synthétiseurs en l'ornant de musique contemporaine dite sérieuse avant de passer à l'orgue et à un groove polyrythmique qui n'a vraiment plus rien à voir avec la jeunesse de cette esthétique; nous sommes alors dans le post jazz fusion. Avec l'assistance des très doués Jonathan Kreisberg et Jamire Williams (à la batterie).

Cette connexion claire au présent du jazz n'empêche aucunement le vétéran de nous replonger  dans les grooves typiques des années 60, dans ces ballades aériennes qu'on sirotait jadis au cocktail lounge, dans ces magnifiques évocations de standards (Nature Boy, notamment), du blues, du gospel ou du funk ou du gumbo néo-orléanais, dans une consultation chez le bon Docteur, un titre que des collègues lui ont attribué jadis à cause de la haute médecine (entendre difficulté) de ses thèmes mélodiques et de ses structures compositionnelles. On ne s'étonnera pas que son nouvel album, en vente ce soir aux entractes, s'intitule... The Healer!

Samedi soir, le jeune collègue du Dr Lonnie Smith était médecin en résidence à l'Upstairs. On n'a pas fini d'entendre parler de ce Jonathan Kreisberg, 40 ans, superbe instrumentiste de la guitare jazz. L'articulation des meilleurs, la précision des meilleurs, le feeling, la compréhension de l'histoire de la guitare jazz. Très souvent, ce type de guitariste peut nous chloroformer dans l'académisme en ne misant que sur le son des années 50. Chez Kreisberg, la grande virtuosité et le respect du passé (eh oui, sa guitare semi-acoustique est une Gibson) se fond dans une ferveur telle qu'on a le sentiment de sillonner un territoire comparable à celui de la musique classique - sa relecture du standard de Charlie Parker, Relaxin' At Camarillo, en est un bon exemple.  Évocations auxquelles il propose quelques aménagements, effets de pédale, ouverture au monde (Zembékiko, d'inspiration gréco-ottomane), bourgeons d'un style compositionnel en pleine floraison. Mention spéciale aux membres de son superbe quartette : William Vinton saxophone alto et piano, Orlando LeFleming, contrebasse, Colin Stranahan, batterie.

Vivement les prochaines thérapies!