À force de la voir jongler avec les concepts, de sa Chamber Music Society à sa Radio Music Society, on pourrait penser qu'Esperanza Spalding est une cérébrale. Mais voilà, au téléphone, la jeune chanteuse et bassiste peut très bien se lancer dans une longue réflexion sur la musique puis, l'instant d'après, pouffer de rire, siffloter un air ou donner carrément l'impression de sortir d'une boîte à surprises. Conversation avec une jeune femme rafraîchissante.

À pareille date, l'an dernier, Esperanza Spalding débarquait au Théâtre Maisonneuve quelques mois seulement après avoir raflé le Grammy de la Révélation de l'année au favori Justin Bieber. Elle finissait alors d'enregistrer son album Radio Music Society, dont le titre faisait craindre à certains que la jeune femme ne s'éloigne du jazz pour profiter de sa popularité nouvelle.

Radio Music Society est jazz, mais pas uniquement jazz. Parlons plutôt d'un creuset dans lequel Esperanza Spalding mêle toutes sortes de musiques avec la complicité d'invités de marque tels Joe Lovano, Jack DeJohnette, Gretchen Parlato et le guitariste originaire du Bénin Lionel Loueke, des artistes qu'elle considère comme des membres actifs de sa Radio Music Society. Dans ce disque, la chanteuse et bassiste américaine au look de top modèle passe en toute liberté d'une chanson à teneur sociale et politique à un emprunt à Wayne Shorter ou à Michael Jackson. Que ces éléments en apparence disparates fassent un tout en disent long sur le talent et la personnalité d'Esperanza Spalding.

Rien dans son parcours n'est provoqué, tout s'enchaîne de façon organique au gré des rencontres. «Mon disque est l'aboutissement de plusieurs années de concerts, de répétitions et d'enregistrements pour tester comment ça sonne, explique-t-elle. I Can't Help It - un extrait de l'album Off the Wall de Michael Jackson, signé Stevie Wonder - est une chanson que j'aime et qu'on joue depuis des années. Comme Joe Lovano a déjà parlé de l'importance de trouver sa propre voix dans la chanson d'un autre, je lui ai demandé de participer à l'enregistrement. Quant à Endangered Species, de Wayne Shorter, on a commencé à la jouer en quartette il y a environ quatre ans. Elle était déjà dans notre répertoire quand j'ai décidé d'y ajouter des paroles pour la chanter en première partie d'un concert de Prince. J'ai demandé la permission à Wayne, mais je lui ai dit je ne voulais pas toucher de droits d'auteur parce que cette chanson est son oeuvre. D'un commun accord, nous les avons cédés à un organisme voué à la protection de la forêt amazonienne.»

Pour chacune des pièces de son album, Esperanza Spalding a commandé des vidéoclips qui, croit-elle, permettent de pénétrer plus à fond dans les histoires qu'elle raconte et la musique. C'est particulièrement vrai de Black Gold, un court métrage dans lequel un papa afro-américain raconte à ses jeunes enfants une Afrique qu'on leur enseigne de façon trop superficielle à l'école. Sur l'album, Black Gold est précédée de Land Of the Free, une chanson très courte inspirée de l'histoire de Cornelius Dupree, un Noir condamné pour meurtre qui a passé 31 ans en prison avant qu'un test d'ADN ne prouve son innocence.

Mademoiselle Spalding insiste sur l'importance pour les Noirs de développer un sentiment d'appartenance et une réelle identité culturelle. «Ce n'est pas facile, particulièrement pour les jeunes, de trouver des groupes constructifs auxquels s'identifier et ça les incite parfois à adopter un comportement qui peut les mener en prison. Il y a dans les prisons de mon pays une proportion trop élevée de jeunes hommes issus des minorités - même si la minorité est la majorité aujourd'hui -, mais qui que tu sois, tu souffres si toi-même ou l'un de tes proches se retrouve en prison. Le système judiciaire est tellement débordé que souvent des innocents aboutissent en prison. Ce cas particulier est pour moi un exemple flagrant des failles de ce système. La douleur que j'ai pu lire sur le visage de cet homme m'a bouleversée.»

Ce soir, Esperanza Spalding passe du Théâtre Maisonneuve au Métropolis, sans section de cordes, mais avec pas moins de sept cuivres en plus de ses quatre musiciens habituels. «C'est comme un demi-big band, dit-elle. Pour la musique très intimiste de Chamber Music Society, l'an dernier, je voulais un environnement théâtral, mais cette fois on peut bouger en écoutant cette musique. Je ne peux vous dire exactement comment ça sera, mais je vous promets que vous allez avoir du plaisir.»

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Esperanza Spalding, au Métropolis, ce soir, 20h30.