Il y a un an, la conjoncture était absolument parfaite pour découvrir LE phénomène de la variété afro-américaine. Au Festival international de jazz, c'eût été idéal. C'est-à-dire dans les conditions décentes d'un club propice à la fête, la danse, l'exultation. Au Parc Jean-Drapeau, on avait eu droit à 60 minutes de Janelle Monae sur la deuxième scène d'Osheaga  tout en se faisant piétiner par les  beaucoup plus nombreux fans d'Eminem qui n'en avaient rien à cirer et qui cherchaient à s'approcher de la scène voisine où le rappeur se préparait à sévir.

Un an plus tard, c'est à dire mercredi soir, tous les conquis s'étaient rendus au Métropolis, pour y contempler cette fabuleuse performer dans le rôle de Cindi Merryweather. Danseuse idéale, chanteuse de puissance, meneuse de troupe, as du collage pop. Salle comble, donc, public multi-générationnel, c'est-à-dire de la vingtaine à la soixantaine.

À la suite d'une partie très conventionnelle de Roman GianArthur, funk pop beaucoup trop collé sur Prince, répertoire de bon élève assorti de la reprise Who's that Lady des Isley Brothers, un maître de cérémonie en costard et haut de forme est venu fouetter les troupes. Au terme d'une série d'impétueux appels et réponses, on a joué la Suite II Overture de l'album The Archandroid.

Est apparu le Wondaland Arch Orchestra et trois sombres personnages en costumes de moine, la tête recouverte de leur capuchon. Sur le grand écran derrière la scène, on projetait une esthétique empruntée aux films de James Bond pendant que la musique instrumentale évoquait clairement le style du compositeur John Barry.

Cindi Mayweather émerge alors d'une soutane, se met à danser et chanter comme une diablesse dans l'eau bénite. Voyez le tourbillon: hip hop avec Dance or Die, puis pop accélérée avec Faster, puis soul pop avec Locked Inside.

Douze musiciens aguerris accompagnent l'étoile de Kansas City (qui scintille à Atlanta depuis quelques années): cordes, cuivres, choristes, claviers, percussions, guitares, batterie. Machine parfaitement rodée, enfin selon l'idée qu'on se fait des plus grands professionnels de la pop américaine.

On a même droit à une relecture de l'hymne national des voisins en prime... pas particulièrement utile au nord de la frontière, mais personne ne s'en formalisera. Le jeu a été calmé par le drapeau, un guitariste amorce alors une ballade instrumentale jazzifiée aux teintes de blues. Janelle reprend alors la magnifique Smile de Charlie Chaplin avec accompagnement très sobre de la guitare électriques, des cordes et des instruments à vent.

Le rythme revient en force avec une reprise de Prince, Take Me With U, assez fidèle à la version originelle. De nouveau une évocation directe de feu John Barry et ses musiques de James Bond, c'est le moment de Sincerely, Jane. On se dit alors que la meilleure variété repose sur cette faculté de maîtriser plusieurs styles et plusieurs époques. Ce que Janelle réussit à merveille... sans toutefois parvenir à fondre ces multiples styles dans celui qu'on devrait considérer le sien. La dame est encore jeune, laissons-lui le temps de malaxer le tout.

À la suite d'une ballade jazzy arrangée avec faste, soit l'inédite Dorothy Dandridge Eyes, la bête de scène nous fait la célébrissime reprise des Jackson Five, I Want You Back. Puis une séance de peinture en direct avec soul vocale, suivie de films d'anthologie (Mohamed Ali sur le ring, notamment) projeté derrière les artistes en pleine action. Voilà le prétexte documentaire à la très dynamique Cold War que Janelle attache avec Tightrope, ce groove incandescent façon James Brown... malheureusement télédiffusé ad nauseam dans cette pub de bagnole qu'on connaît.

Au rappel, l'inédite Electric Lady fait dans le classicisme soul/R&B et précède Come Alive (War of the Roses), non sans évoquer cette musique black des années 20 et 30 que préconisait entre autres Cab Calloway. Occasion de prouesses vocales et d'hallucinante expression corporelle signée Janelle Monae Robinson.

Alors? Sauf les longues séquences d'improvisation et d'interaction avec la foule, sauf quelques numéros de danse supplémentaires et deux nouvelles chansons, rien de neuf par rapport à ce qui nous avait éblouis un an plus tôt. Et qui a ébloui quiconque assistait à son premier spectacle de Janelle. On aura saisi que ce répertoire est encore restreint, que ce spectacle est relativement court et se termine étrangement par une présentation des artistes et la remise du tableau barbouillé en direct (par la star) à un spectateur néanmoins ravi.

Vivement le prochain chapitre de l'archandroïde.