On reconnaîtrait encore la voix parmi mille. Même si elle n'a plus cette fermeté qui lui faisait racler le fond des ténèbres pour en relancer les scories à la face de ceux qui ne la trouvaient que belle.

On pourrait même dire que le personnage serait intact si le corps n'était pas là pour nous rappeler les plus grands clichés du passage des ans.

«En Irlande, la guerre civile dure depuis 800 fucking années», a lancé Marianne Faithfull en présentant la chanson There's a Ghost de Nick Cave, «oui, celui qui est beau». Ses fans ont ri, reconnaissant là «leur» Marianne qui n'a pas la langue dans sa poche, car elle y met les mains pour chanter. Sinon quoi faire avec?

Hier, à son troisième passage au Festival de jazz de Montréal, l'ancienne bad girl du rock a d'abord livré sept des treize titres de son nouveau CD, Horses and High Heels, dont la très belle Prussian Blue qu'elle a écrite avec David Courts, mais que Bob Dylan ne renierait pas.

Trois ou quatre fois entre les chansons poliment applaudies par «le merveilleux public» montréalais, elle a blagué sur son incapacité de parler français, elle qui habite Paris depuis huit ans: «Ça ne rentre pas.» Pas vraiment grave, madame...

Vacillante, mais souriante

Musicalement, Marianne Faithfull est bien entourée de quatre musiciens, dont Katherine St.John, la directrice de l'ensemble qui joue du piano, du saxophone et de l'accordéon. À la guitare, Mme Faithfull a la chance de compter sur le Californien Doug Pettibone, un coloriste subtil qui y est pour beaucoup dans la qualité de Horses and High Heels, dont il a d'ailleurs composé la chanson-titre.

Le manque se fait sentir du côté des choeurs: Marianne Faithfull n'a jamais eu une grande voix et l'appui harmonique s'avère plus nécessaire que jamais.

Qu'à cela ne tienne! Quand Marianne Faithfull chante Sister Morphine, qu'elle dit toujours avoir écrite avec Mick Jagger (les droits ont longtemps fait l'objet d'un litige), la salle Maisonneuve se téléporte tout entière dans le passé où elle restera pour As Tears Go By qu'elle a popularisée avant les Stones qui l'avaient écrite, Working Class Hero de John Lennon et Broken English, la chanson (et le disque) qui l'a relancée en 1979.

Marianne Faithfull, délinquante de 66 ans, s'allume une cigarette (qui la fait tousser) pour Sister Morphine, chante assise dans la deuxième partie de son spectacle à cause d'une thrombose à une jambe: «Bah... vous autres aussi, vous êtes assis...» Reste que l'on sent la dame bien fragile, absente même à certains moments où elle ne semble pas du tout en phase avec la musique.

Vacillante, mais souriante, sous l'ovation qu'elle accepte toujours les bras ouverts, elle reviendra pour interpréter sa Ballad of Lucy Jordan puis Strange Weather que Tom Waits a écrite pour elle: Partout à travers le monde/Des étrangers parlent du temps qu'il fait/Encore et toujours...

On espère pour tout le monde qu'il fera beau mardi prochain à Québec où Marianne Faithfull chantera à l'amphithéâtre extérieur du Pigeonnier. Merveilleux public là aussi, c'est certain.