Secret Society de Darcy James Argue demeurera-t-elle confidentielle très longtemps? On en convient, il faudra encore du travail sur le terrain avant que l'orchestre new-yorkais de 18 musiciens, de surcroît l'un des plus inventifs sur la planète jazz, déborde le cadre des jazzophiles avertis.

Hier soir, le Gesù était néanmoins rempli aux trois quarts. Quelques centaines de festivaliers curieux sont allés à la rencontre d'illustres inconnus venus à ce très grand happening somme toute assez grand public dans ses déclinaisons jazzistiques. Public attentif, de plus en plus conquis au fur et à mesure qu'a progressé cette performance aussi dense que nourrissante.

Ayons confiance, la grande qualité de ce discours orchestral fera son chemin. La Secret Society n'a qu'un album à son actif (Infernal Machines), de petits moyens et un pouvoir d'attraction qui relève de l'internet viral et du bouche à oreille - sans compter quelques chroniqueurs convaincus. Avouons qu'il faut être un peu cinglé pour mener une telle galère... mais après écoute de son album et du premier concert de l'orchestre à Montréal, on donnera raison à Darcy James Argue de poursuivre cette entreprise risquée.

Ayons confiance, car ce jazz du musicien canadien (transplanté dans la Grosse Pomme) aspire tout sur son passage. Non seulement draine-t-il les grands enseignements du big band moderne (George Russell, Bob Brookmeyer, Gil Evans, Oliver Nelson, Maria Schneider, etc.), mais encore intègre-t-il nombre de musiques cruciales de notre époque: improvisation libre, minimalisme américain, musiques symphoniques contemporaines de tradition européenne, grandes musiques de film pour orchestre, mais aussi rock indie ou même électro!

Pas un big band normal...

Dès la première pièce au programme, Phobos, le ton est donné: nous n'avons vraiment pas affaire à un big band normal. En témoigne l'intégration d'un jeu de guitare hard, qui précède un solo de saxophone ténor bien senti, et signé Mark Small.

La deuxième composition, Induction Effect, se déploie sur un décalage rythmique s'inspirant des concepts du compositeur Steve Reich et met en relief la trompette de Matt Holman.

Inspirée du club des Jacobins (le plus célèbre de la Révolution française), la pièce suivante s'échafaude sur un mouvement lent que meublent des circonvolutions des instruments à anche avant que les cuivres n'exposent une série de thèmes. Dense! La pièce pourrait fort bien accompagner un film sur la chute de Robespierre!

La quatrième pièce est encore plus kaléidoscopique pour sa pléthore d'influences. The Neighbourhood se veut le premier mouvement d'une oeuvre en chantier: Brooklyn Babylon.

On a droit ensuite à Habeas Corpus, qui évoque musicalement la triste histoire de Maher Arar, ressortissant canadien torturé en Syrie, considéré à tort comme un terroriste. Atmosphères d'angoisse et grande intensité, il va sans dire.

Les deux dernières compositions de la soirée, Transit et Obsidian Flow, baigneront dans l'huile. Et l'on y applaudira deux solistes top niveau: la trompettiste Ingrid Jensen et la saxophoniste (alto) Erica Von Kleist.

Moins secrète qu'hier et plus que demain, cette Society de Darcy James Argue...