Faute d'incarner Billie Holiday à Broadway, Dee Dee Bridgewater garde vive la mémoire de la dame qui chantait le blues

Il y a 25 ans, à Paris puis à Londres, Dee Dee Bridgewater avait tenu le rôle-titre de Lady Day, un «one-woman show» tiré de l'autobiographie de Billie Holiday, Lady Sings the Blues (1956). Sur scène, lit-on dans les critiques de l'époque, la plus française des chanteuses américaines devenait littéralement Billie Holiday, jusque dans le phrasé. Un drame, une voix...

Les nombreuses tentatives de produire la pièce à Broadway ont échoué, mais Madame B. continue de raviver le souvenir de Billie Holiday avec le spectacle To Billie With Love - A Celebration of Lady Day, qu'elle présente demain au Théâtre Maisonneuve.

«Broadway, je ne pense pas que ça va se réaliser», nous disait la diva dans son impeccable français lorsque jointe récemment à son domicile de Californie. «J'ai essayé moi-même deux fois; Stephen Stahl, l'auteur de la pièce, a aussi essayé deux fois, en vain. Les raisons sont variées, mais ça revient toujours au financement...» Cette fois, un investisseur a décidé de se retirer deux semaines avant le début de la production. Dee Dee Bridgewater, 61 ans, dit ne plus vouloir vivre ce «supplice».

10e participation

Entre-temps, Madame B. revient dans une ville qui la vénère, où elle a animé le party du jour de l'An du nouveau millénaire; demain marquera par ailleurs sa 10e participation au Festival de jazz en 18 ans. «C'est l'un des grands festivals et je suis toujours heureuse d'y chanter», lance la diva qui n'en laisse pas moins paraître une légère contrariété. «Je voulais chanter à la salle Wilfrid-Pelletier où je suis très à l'aise, mais ce n'était pas possible... Mais j'aime aussi le Théâtre Maisonneuve.»

Au su du concept, Madame B. est exactement à sa place dans cette série En voix exclusivement féminine, qui réunit les Dianne Reeves, Diana Krall , Holly Cole et Madeleine Peyroux, elle-même une émule de Billie Holiday.

Le spectacle de Dee Dee Bridgewater est tiré du CD Eleanora Fagan (1915-1959) - To Billie With Love From Dee Dee, enregistré l'an dernier avec James Carter au saxophone et Christian McBride à la basse. Le pianiste portoricain Edsel Gomez, qui accompagne la chanteuse depuis cinq ans, a signé les arrangements. «Edsel est un arrangeur sublime. Oui, il est connu pour ses accents latins (David Sanchez, The Latin Side of Miles, etc.), mais cet album est plutôt bluesy...» Et la chanteuse et actrice s'est bien gardée du piège de l'imitation.

MM. Carter et McBride ne font pas partie du quintette (dirigé par Edsel Gomez) qui accompagne Dee Dee B. dans Good Morning Heartache, Lover Man, You've Changed, Strange Fruit, la sublime God Bless the Child et, bien sûr, Lady Sing the Blues, chanson phare de Billie Holiday, Éleanora Fagan de son vrai nom, morte à 44 ans dans la plus complète déchéance. Dee Dee Bridgewater n'en veut pas moins voir le côté joyeux d'une pionnière qui a ouvert le chemin à celles qu'on appelle aujourd'hui les «Black Divas»... «Oui, Billie Holiday a eu une vie difficile, mais elle n'était pas que souffrance et mélancolie: elle avait beaucoup d'humour. C'était une femme de coeur qui faisait souvent à manger à ses musiciens. Elle était toujours en blagues... et jurait comme un marin!»

Dee Dee Bridgewater aussi faisait à manger pendant qu'elle nous parlait de sa mère malade et de son fils de 19 ans, Gabriel Durand, en année sabbatique «pour réfléchir à son avenir». Pas un mot, toutefois, sur sa fille China Moses qui chante avec le Raphaël Lemonnier Quarter dimanche prochain à l'Astral. Au même festival que sa mère, avec qui elle a souvent chanté. Faut dire qu'on ne lui en a pas parlé non plus...