Si on recherche la puissance vocale à tout rompre, on n'est pas à la bonne enseigne. Si on cherche un équivalent de Dianne Reeves, si on veut se rassurer avec le swing des grands-parents de Diana Krall, si on n'en a que pour le conformisme assumé de Stacey Kent et d'Emilie Claire Barlow, on n'est pas non plus à la bonne enseigne.

Gretchen Parlato est de ces grandes interprètes dont l'art exhale autre chose qu'un lien direct avec la tradition. Et dont le volume élevé n'est qu'une des couleurs de la palette. Dans cette optique, osons  affirmer qu'elle est une descendante d'Helen Merrill; la trentenaire préconise une subtilité vocale comparable à son aînée, bien que sa musique n'ait peu à voir avec celle de l'octogénaire. Ce côté aérien n'est pas sans rappeler la Brésilienne Flora Purim, à l'époque où cette dernière travaillait aux côtés de Chick Corea.

Qu'on ne s'y méprenne, Gretchen Parlato n'a rien de foncièrement passéiste. Elle aime le jazz moderne des années 60 (notamment celui de Wayne Shorter et de Herbie Hancock, époque Miles, et dont elle reprend Juju et Butterfly), la soul pop (influence de Michael Jackson, notamment), le hip hop (dans le rythme, dans le groove), la musique brésilienne (samba et bossa), le folk indie et s'imprègne de l'esthétique du pianiste Robert Glasper avec qui elle a réalisé son dernier album (The Lost and Found, étiquette ObliqSound). Inutile d'ajouter qu'elle en reprend plusieurs titres sur scène, sans compter d'autres extraits de son album précédent, In A Dream.

Voile superbe, subtils chuchotements, attention particulière aux sonorités de chaque syllabe, recherche de timbre, vision unique de l'improvisation, fleur de peau pour chaque chanson investie, capacité réelle d'ouvrir la machine lorsqu'il y a lieu de le faire - sans qu'on puisse conclure à une chanteuse qui fera s'écouler les murs de Jéricho.  Musicienne, leader, compositrice, réalisatrice... Une artiste au vrai sens du terme.

Pour cette première rencontre importante avec les jazzophiles montréalais  (on exclut les performances plus ou moins confidentielles de l'an dernier au Savoy), cependant, il fallait évaluer si cette délicatesse pouvait confirmer le ravissement ressenti au salon ou dans le casque d'écoute. Au sortir du concert de mardi, c'était clair et net : cette Gretchen Parlato est extrêmement douée.

Elle a réussi à y imposer l'attention, le respect, et faire en sorte que son art si sensible puisse s'incruster dans les coeurs et les têtes. Un seul bémol , cependant : j'aurais aimé un peu plus d'expressivité de la part de son groupe, à mon sens trop en retrait pour le talent de ses membres - le batteur Jamire Williams, le pianiste Aaron Parks, le contrebassiste, chanteur et guitariste Alan Hampton sont parmi les meilleurs jeunes musiciens de New York... Mais voilà, ils ne jouent pas toujours avec Gretchen Parlato dont le groupe régulier n'a pas été réuni à Montréal.  D'où cette relative retenue...

A-t-elle conquis unilatéralement le public ayant rempli L'Astral ?  Bien sûr, il y avait un petit buzz médiatique, dont un article fervent de La Presse titré La chanteuse jazz de l'heure, mais...À en observer les réactions dans l'amphithéâtre rempli à capacité, j'ose croire que Gretchen Parlato en a conquis plus d'un ... Et qui répandront la bonne nouvelle pour la suite des choses.