Pas de contrebasse ni de batterie pour tenir le rythme, pas de guitare pour reprendre la mélodie... Diana Krall était seule hier soir sur la grande scène du Théâtre Maisonneuve où elle donnait le premier de trois récitals au festival qui l'a lancée, voilà maintenant 15 ans. «André Ménard a dit: «On va faire ça.» Et j'ai dit: «Okay, on va faire ça.» Et me revoilà dans ce grand festival! Seule...»

Seule, pour la première fois, avec son piano qui a dû sentir, d'emblée, le trac immense qui habitait Diana Krall qui n'en a pas fait cachette. «Je m'ennuie de chez moi: Vancouver est bien loin... Et j'aimerais qu'il pleuve, car je joue mieux quand il ne fait pas beau», a lancé la célèbre blonde de Nanaimo avec cet humour de la fille d'à côté qui lui a peut-être permis de se ramasser avant d'attaquer le coeur du premier grand concert solo de sa carrière de superstar.

Elle venait d'interpréter - on sentait sa voix trembler - quatre pièces que ses fans connaissaient: Peel Me a Grape et Garden in the Rain du CD Love Scenes, Lovely Day et Come Dance With Me de Sinatra dont le swing déjà plus assuré lui a valu ses premiers applaudissements.

Diana Krall a ensuite raconté comment, adolescente, elle avait dans sa chambre des posters du pianiste Fats Waller, un favori de son père, de Peter Frampton, qu'elle va manquer jeudi au festival, et un autre, faut-il la croire? d'Elvis Costello - il a assisté au récital d'hier - qui deviendra son «merveilleux» mari. Et la dame de se lancer dans un medley de Fats Waller (1904-1943), maître du piano stride et entertainer extraordinaire. Keep out of Mischief: Je ne sors pas avec toi parce que t'as de trop gros pieds. Ceux de Diana Krall sont corrects: le droit sur la pédale du piano, le gauche sous le banc, à battre le mesure.

Des risques

L'humour unit le monde... Je vais m'écrire une lettre et me dire qu'elle vient de toi (Gonna Write Myself a Letter), The Reefer Song qui parle d'un joint de cinq pieds, dont Mme Krall aurait peut-être pris une bouffée si la PdA n'était pas un territoire sans fumée, et Don't Fence Me in. De Waller, Diana Krall est passée à Oscar Peterson (1925-2007) qu'elle a vu avec Ella Fitzgerald avant de lui écrire et, éventuellement, de le côtoyer: «La pire chose qui peut vous arriver est qu'Oscar Peterson vous invite à jouer du piano avec lui...» Ou d'être obligée de jouer comme lui I Was Doing Alright qu'O.P. avait enregistré avec Louis Armstrong... Attaques et reprises solides: Diana Krall se défend bien, mais le Steinway connaît des passages difficiles, du point de vue rythmique surtout. Reste qu'il faut donner le mérite à l'artiste pour avoir pris ces risques. Elle aurait pu rester dans le confort douillet de Fly Me to the Moon et autres Look of Love; elle a choisi d'explorer des territoires peu connus de ses fans, plus surpris que déçus, il nous a semblé, de la tournure de la soirée qui s'est poursuivie avec des titres que Diana Krall avait tirés des vieux 78-tours de son père, dont l'émouvante Glad Rag Doll, du film du même nom.

Bon... Certains ont sourcillé quand elle est revenue au rappel pour chanter (sans micro) All I Do Is Dream en s'accompagnant... au ukelele. Mais la soirée de première s'est terminée en beauté avec Departure Bay du couple Krall/Costello et la belle Prairie Lullaby qui rapprochait déjà la chanteuse de ses jumeaux chéris. Les récitals de ce soir et demain s'annoncent déjà mieux: deux concerts, deux dodos.

Un piano, une voix, une artiste accomplie dans sa vulnérabilité: le charme est intact.