Pour plusieurs, l'Arménien Tigran Hamasyan a été LA révélation du Festival international de jazz en 2010. Son style explosif et hautement virtuose, le lyrisme de ses compositions présentées en solo, son talent de sideman (avec l'ensemble du batteur Ari Hoenig), sa connaissance profonde de la musique traditionnelle de son pays d'origine et une portion probante de la musique classique, voilà autant d'arguments qui concourent à mettre en lumière le talent exceptionnel de ce pianiste âgé de 23 ans.

La prochaine étape est la suivante : il nous faut découvrir son ensemble après trois concerts donnés par Tigran à Montréal depuis juillet 2010. Ça y est, et nous causons de nouveau au musicien pour cette raison précise.

« À Montréal, annonce-t-il au bout du fil, je viens avec la chanteuse Areni, Ben Wendel aux saxophones et effets, Sam Minaie à la basse et contrebasse, Nate Wood à la batterie, moi au piano et claviers. Sauf le guitariste Charles Altura, tous ces musiciens de l'album Red Hail / Aratta Rebirth (étiquette Plus Loin Music) seront présents. Les compositions et arrangements sont de moi, après quoi le groupe contribue à en étoffer le son.  Ainsi, nous allons jouer des pièces de l'album et du nouveau matériel qui sera sur le prochain album. Croyez moi, même sans la guitare, l'attitude sera très rock ! »

En 2008, le quintette de Tigran Hamasyan s'est formé à partir d'un projet d'enregistrement. Tous les musiciens  de cet ensemble vivaient alors à Los Angeles avant de s'établir à New York.

«J'ai vécu 5 ans à L.A., ma famille y a déménagé lorsque j'étais âgé de 16 ans. En Arménie, les écoles de musique sont excellentes mais on ne peut ensuite s'y développer professionnellement. Le régime là-bas est très étroit d'esprit, les gens essaient de survivre plutôt que de penser à une carrière dans le monde des arts. Pas facile... »

Même s'il passe beaucoup de temps en Europe pour satisfaire la demande, Tigran Hamasyan vit surtout aux USA depuis qu'il a remporté en 2006 le premier prix au concours de piano organisé par le Thelonious Monk Institute of Jazz, ce qui lui a permis de s'inscrire à l'université (South California University) où il a multiplié les contacts et parfait sa technique déjà impressionnante. Il a, depuis, enregistré quatre album dont le récent solo A Fable, lancé sous étiquette Verve peu avant sa dernière escale montréalaise (à L'Astral).

Jazz... métal!

Nous sommes fin prêts à découvrir sa musique en quintette : créé il y a trois ans et lancé en 2009 sous étiquette Plus Loin Music, Red Hail /Aratta Rebirth révélait un furieux mélange de folklore arménien, de jazz moderne... et de métal !

« Oui j'aime le hard rock et le métal. Ce que j'ai déjà créé à ce titre n'est qu'un aperçu ce ce qui s'en vient! Tout petit, j'écoutais déjà beaucoup de Led Zeppelin et Black Sabbath, ça occupe encore une large part de mon imaginaire musical. Ça coule dans mes veines et j'écoute du heavy plus récent comme Tool, Meshuggah ou Mt. Helium (anciennement nommé Apex Theory).  System of a Down, dont les membres sont d'origine arménienne? Hmm... jusqu'à l'album Toxicity. En fait, j'aime le rock dur ou le métal avec un solide argument mélodique. »

Folklore arménien

Ces propos mènent-ils à croire que l'ensemble de Tigran inaugure le sous-genre « jazz métal », suite logique et attendue du jazz rock de puis belle lurette ? Pas exactement, enfin si on écoute attentivement et si on lit la suite de sa description :

« Toutes les chansons et mélodies du quintette s'inspirent du folklore arménien. Les caractéristiques arméniennes de ma musique sont profondément ancrées en moi. Je suis né et j'ai grandi en Arménie (Gyumri, Erevan), je tire beaucoup d'inspiration de la musique traditionnelle arménienne. C'est si riche, il y a tant à explorer.

«Dans cette optique, j'arrange des chansons folkloriques et une part de mon approche repose sur la création de thèmes  originaux que des Arméniens pourraient reconnaître comme des chansons traditionnelles  - bien que ces pièces soient plus complexes et plus modernes. Ainsi, je reste très proche de cette musique dont je m'applique à moderniser les fondements. Construire des harmonies sur les modes arméniens, par exemple. »

Est-il besoin d'ajouter que Tigran Hamasyan reste très attaché à ses racines, à l'instar de la chanteuse Areni qui les partage et en maîtrise aussi les fondements.

« La musique arménienne, renchérit le pianiste, a été traversée par plusieurs cultures et influences de l'Ouest et de l'Est. Je m'applique à identifier la vraie source à travers ses influences fondatrices et ses meilleures interprétations. D'ailleurs, il me faut régulièrement corriger cette perception voulant que la  musique arménienne soit orientale, ce ci dû à de mauvais enregistrements aux prétentions locales.  Cela étant dit, certains de mes projets n'ont strictement rien à voir avec cette musique.»

L'improvisation

Loin de Tigran l'idée de faire dans le jazz pur, aurons-nous deviné.

« En fait, il n'y a pas tant de jazz dans ma musique que certains le croient. Avec attitude rock, je dirais que c'est davantage un mélange de musique arménienne et de musique improvisée. L'improvisation est aussi une pratique qui fait partie de mon univers depuis l'enfance. C'est la raison principale pour laquelle, j'ai choisi le jazz mais cela ne signifie pas que mes impros soient systématiquement jazz; elles peuvent aussi être rock, folk, ou même classiques.  Au fond, ce qui est fondamentalement jazz dans ma musique se trouve dans la liberté d'improviser. »

Le quintette de Tigran Hamasyan se produit au Gesù, 22h30, le mardi 28 juin dans la série Jazz dans la Nuit