Magistral est un qualificatif qui ne manque pas de pompe... lorsque pompe il y a. Un cliché, pour ainsi dire. Or, dans le cas qui nous occupe, ce cliché s'avère on ne peut plus approprié: pour son anniversaire de naissance, Ahmad Jamal a offert une performance qui devrait, à mon sens, être retenue parmi les concerts classiques du Festival international de jazz de Montréal, toutes éditions confondues.

À 80 ans, l'homme peut encore compter sur une technique irréprochable et ainsi déployer cet univers pianistique qui n'a d'équivalent aucun.

Des grands pianistes de cette époque dont il est issu, c'est-à-dire l'âge d'or du jazz moderne, on semble n'en avoir que pour Oscar Peterson. Vraiment? Avec l'immense respect que je dois pour le plus important jazzman montréalais de l'Histoire, j'ose affirmer que Ahmad Jamal est un artiste de la même trempe. Tout au moins! Personnellement, je lui trouve une personnalité pianistique encore plus affirmée, au-delà des prouesses techniques que nous réserve son jeu. Parmi les pièces au programme de ce vendredi au Théâtre Maisonneuve, on aura identifié des éléments de son récent album Quiet Time (Flight to Russia), de son album, It's Magic (Wild Is The Wind/Sing et Papillon), son incontournable Poinciana. Une heure et demie de grande classe.

Attaque félines, incisives, impitoyables. Conception de l'espace sonore absolument unique. Variations dramatique entre légèreté, densité, suavité, virilité et mouvements aériens. Maintien du swing comme cellule rythmique fondamentale de l'expression. Et que dire de ses montées en vrille avec ces deux mains qui tissent simultanément d'incroyables motifs. Ces parenthèses si particulières à l'intérieur d'une phrase musicale. Ces arrêts choc, ces départs choc. Ce sens du silence dans l'énoncé. Ce discours rythmique en phase parfaite (ou presque) avec la batterie ou la percussion afro-caribéenne. Ces grooves profondément afro-américains.

Avant sa prestation, j'ai croisé des amateurs de jazz qui ne connaissaient pas ce virtuose exceptionnel. Pourquoi donc? La manière Ahmad Jamal, pourtant, a fait école, plusieurs pianistes des générations suivantes en ont inclus dans leur jeu des caractéristiques essentielles (sans les dupliquer), de Jacky Terrasson à Robert Glasper.

À Montréal, en fait, ce musicien exceptionnel est peut-être moins connu pour la raison suivante: on m'a déjà laissé entendre que Jamal était un âpre négociateur de ses cachets et que... cette attitude de diva ne serait pas étrangère son absence du FIJM au cours des derniers 20 ans. Vraiment dommage, car les années de rattrapage ne seront plus très nombreuses. Jusqu'à quand l'octogénaire pourra-il tenir une telle forme? Une telle énergie? Un jeu aussi alerte? Croisons-nous les doigts.