Dans sa proverbiale tenue de combat, t-shirt et pantalons militaire style camouflage, John Zorn a débarqué hier sur la scène du Théâtre Maisonneuve. Pour deux programmes consécutifs, c'est-à-dire pour plusieurs heures,  il serait l'annonceur officiel de ce qu'il a nommé lui-même la «famille Masada».

Rappelons que tous ces artistes invités sur scène pour ce Marathon Masada ont participé au Book of Angels, superbe collection d'albums à connotation biblique et, il va sans dire, d'inspiration sémite - sous étiquette Tzadik que dirige Zorn.

Bar Kokhba, premier sextette au premier programme, regroupe le violoniste Mark Feldman, le violoncelliste Erik Friedlander, le guitariste Marc Ribot, le percussionniste Cyro Baptista, le contrebassiste Greg Cohen et le batteur Joey Baron, tous sous la gouverne de Zorn - qui ne joue pas d'instrument dans le contexte. Les improvisations des solistes (Feldman, Friedlander, Ribot) sont pour la plupart de belle facture, quoique cette portion du premier programme ne soit pas suffisamment longue afin que les musiciens soient assez échauffés et ainsi donner le meilleur d'eux-mêmes.

C'est d'ailleurs le seul problème de ce type de programme dont chaque partie est un résumé de concert, en quelque sorte. Cela dit, les choses tournent rondement sur scène, l'éventail s'annonce complet.

D'une manière assez introspective, Bar Kokhba présentera les grands airs sémites que Zorn a fusionnés à des rythmes latins et moyen-orientaux, airs auxquels il peut aussi conférer des mesures plus complexes. Voilà une musique de chambre  s'inscrivant dans l'esthétique du quartette Masada, formation originelle de toute cette aventure - et qui est venue bien assez souvent à Montréal pour qu'on désire en savoir plus long sur les projets qui lui ont succédé.

S'ensuit le trio du pianiste Jamie Saft, qui comprend le contrebassiste Greg Cohen et le batteur  Kenny Wollesen. Dans un format jazz, les effluves orientaux y sont aussi identifiables. Musiques assez calmes de facture, rien d'exceptionnel dans l'exécution. L'intensité montera quand même d'un cran avec l'arrivée du clarinettiste Ben Goldberg, transformant ainsi ce trio en quartette.

Instrumentiste chevronné, Goldberg donne plus de nerf à cette formation qui semblait un peu molle d'entrée de jeu. À cette portion de programme, il prévoit entre autres un fragment de free jazz qui agit sur ses membres tel un stimulus électrique... sans qu'on se soit particulièrement pâmé.

John Zorn nous présente ensuite Mycale, quatuor vocal exclusivement composé de femmes. De différentes origines, Malika Zarra (excellente chanteuse de jazz au demeurant), Sofia Rei Koutsovitis, Basya Schekter et Ayelet Gottlieb ouvrent un autre chapitre au Livre des Anges. Encore là, l'imaginaire juif de la «famille Masada» reste très présent dans la facture, bien qu'on reprenne les acquis des ensembles vocaux (basse, percussion vocale, polyphonie spontanée, etc.) tels que développés par les chanteurs de jazz de notre époque - à commencer par Bobby McFerrin. Plus que sympathique.

Le violoncelliste Erik Friedlander revient alors sur scène pour y donner une performance époustouflante en solo, alternant les techniques d'archet et de cordes pincée pour ainsi explorer un maximum de possibilités qu'offre son magnifique instrument.

Nous voilà au dessert de ce premier programme: le Masada Sextet, soit le quartette de Masada (John Zorn, saxophone alto Dave Douglas, trompette,  Greg Cohen, contrebasse, Joey Baron, batterie) renforcé par le pianiste Uri Caine et le percussionniste Cyro Baptista. Le mélange latin/hébraïque/jazz contemporain à la sauce Ornette y est tout simplement parfait. Armé de son saxophone alto, Zorn, complète le jeu du trompettiste Dave Douglas. Tout devient très free tout à coup, l'improvisation de tous et chacun est galvanisée par un swing rapide et incisif que déploie  Joey Baron. Ornette serait heureux d'entendre ça!   

Dave Douglas est en feu, Uri Caine exécute de superbes solos, Zorn ne donne pas sa place en éructant ses notes les plus furieuses, la section rythmique y est en phase idéale avec les instruments mélodiques et le piano.

 

Et de deux!

 

Le second programme aura été de même niveau, avec une coche supplémentaire d'intensité.

Le duo de la pianiste Sylvie Courvoisier et du violoniste Mark Feldman a été des plus relevés: mélange vivifiant de musique contemporaine, ponctions humoristiques de culture populaire, improvisation libre. Très fin,  assurément virtuose, fertile en rebondissements, et un Mark Feldman qui se surpasse.

Dreamers? C'est un peu Electric Masada en mode lounge.  À peine, en fait, car certains solos de Marc Ribot y puisent dans l'esthétique Santana de la meilleure époque (Borboleta, Welcome, Caravanserai) , le résultat est plus éclatant, moins feutré encore meilleur qu'en studio.

La prestation solo du pianiste Uri Caine fut carrément superbe, à la hauteur de ce musicien aussi virtuose qu'imaginatif, excellent improvisateur de surcroît.

Quant au Masada String Trio (Feldman, Cohen, Freidlander) sous la direction de Zorn (assis à l'indienne devant ses interprètes!!!), j'ai aussi beaucoup aimé ce mélange de musique contemporaine et d'improvisation libre, le tout saupoudré d'un sémitisme subtil - plus klezmer qu'oriental, en fait.

Comme prévu, le point culminant de ces cinq heures zornumentales a été la performance pour le moins incandescente d'Electric Masada: deux batteries (Baron et Wolleson), basse (Trevor Dunn), claviers (Jamie Saft), électronique (Ikue Mori), guitare (Marc Ribot) et saxophone alto (Johhn Zorn). Et ça vire au jazz rock empreint de cette touche mélodique juive, et passe par des ambiances biosphériques (petits oiseaux échantillonnés, etc.), et ça vire au hard rock d'avant-garde, et John  multiplient les consignes d'improvisation. La finale sera à la fois rock et ornette colemanienne, feu d'artifice dont on parlera longtemps dans les chaumières.