Laurie Anderson ne revient pas à Montréal pour y présenter le contenu de Homeland, son nouvel album qui vient à peine d'être lancé. Ce soir à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, elle partagera la scène avec le saxophoniste, compositeur et improvisateur John Zorn ainsi qu'avec son célébrissime mari, Lou Reed... qui se passe de présentation.

«Pour moi, l'improvisation est devenue une discipline très stimulante. Je la pratique depuis peu de temps, en fait, et j'ai beaucoup appris en la pratiquant. J'y ai trouvé la liberté et le plaisir de jouer en direct. Alors? Nous avons une structure de départ, une structure assez simple à partir de laquelle nous élaborons en direct. Jusqu'à maintenant, nous avons présenté ce spectacle à quatre reprises, dont une à New York au club The Stone, que possède John Zorn.» Une des conséquences positives de l'effondrement de l'industrie du disque, estime la musicienne, est la réémergence de la musique sur scène.

 

Étrangement, cette interview (planifiée par le label Nonesuch avec lequel l'Américaine est liée) portera essentiellement sur un album: Homeland, son premier en neuf ans, vient tout juste d'être lancé. «Pour les Américains, amorce-t-elle, Homeland est une expression très connotée. Très sentimentale. Très peu utilisée aux USA. Tellement sentimentale qu'elle nous apparaît ridicule, à tout le moins étrange. Or, le gouvernement peut l'utiliser sciemment et ainsi en récupérer le sens: «Department of Homeland Security», par exemple.»

Ainsi, Homeland parle du pays intérieur de Laurie Anderson, et des périodes que ce pays a traversées de droite (Bush) au centre (Obama) au cours des dernières années. «Même si je ne suis pas du genre nationaliste, je conviens que l'identité provient d'abord du territoire où l'on vit. Même si on tente de l'éviter. Lorsque j'ai commencé à créer cet album, d'ailleurs, mon écriture était beaucoup plus politique qu'elle ne l'est devenue par la suite. Bush était encore au pouvoir, j'avais beaucoup de colère en moi. Ma propre identité ne pouvait admettre un régime qui torturait des gens.»

Cette révélation a été un choc pour elle, comme ce le fut pour beaucoup d'Américains, admet-elle. «Je n'étais pas naïve au point de croire que nous étions perçus comme les bons, mais... de là à constater qu'on nous considérait désormais comme des tortionnaires et des envahisseurs... J'ai donc voulu écrire à ce sujet.»

Et, contre toute attente, la politique américaine a changé de cap. Et Laurie Anderson a changé de récit. «Lorsqu'il y a un gouvernement conservateur au pouvoir, je me remets à écrire sur la politique. Lorsqu'un gouvernement libéral reprend le pouvoir, je passe à un autre sujet. Mes chansons super critiques et super politiques, je les ai finalement mises aux archives. Elles étaient si différentes au départ. J'y parlais néanmoins de la température, du travail, de la nécessité de l'expertise, de la maîtrise de sa destinée...»

Ces idées ont quand même fait leur chemin et Homeland pose des questions derrière lesquelles Laurie Anderson a créé des environnements musicaux. «Où vit-on maintenant? Qu'est-ce qui nous importe? Que fait-on? Nous vivons dans une société qui perd pied, qui disparaît littéralement. À New York, les magasins de disques se sont évaporés. Il n'y a plus de librairies. Plus de banques. Tant de lieux physiques propices à la communication humaine ont été numérisés. Vivre dans ce type de monde n'est pas particulièrement physique!»

Laurie Anderson a voulu exprimer le paradoxe généralisé de la période actuelle. «Chaque problème qui s'y présente peut être résolu par des solutions opposées... et finit par n'être jamais résolu. La vie est si embrouillée, si désordonnée!»

Le processus de la réalisation de cet album, raconte la célèbre performeuse new-yorkaise, n'est pas étranger à cette perception. L'ordre et le désordre n'ont cessé de s'y affronter.

«Lorsque j'ai enregistré le matériel en studio avec Roma Baran (une personne exceptionnelle au demeurant), la résultante était sèche, lisse, beaucoup trop organisée. J'avais perdu l'énergie de mes spectacles... et mon budget était épuisé. J'ai alors décidé d'injecter dans ces enregistrements des éléments repris en spectacle pour ainsi redonner vie au travail réalisé en studio. Or, pour y parvenir, il me fallait piger parmi des centaines d'extraits! Un travail complètement fou. Interminable.»

Las de l'entendre maugréer, son mari a fini par lui proposer son aide. «Lou m'a offert d'entrer en studio avec mes bandes et de n'en sortir que lorsque le travail serait complété. J'ai hésité... et j'ai finalement accepté. Si j'ai dû réviser ma conception de la perfection? Oui, quelques fois! Or Lou est un excellent réalisateur, et m'a finalement conseillé de laisser dépasser quelques imperfections. «Just leave it a little raggy». J'ai fait confiance, et voilà.

«Je travaillerais encore sur cet album s'il ne m'avait pas prêté main-forte. «

Laurie Anderson, Lou Reed et John Zorn improvisent ce soir, 19h30, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.