Pour illustrer la pochette de son premier et seul album, le duo québécois Beast - alias la chanteuse Betty Bonifassi et le batteur-percussionniste-bidouilleur Jean-Phi Goncalves - a choisi l'intérieur d'une ruche. Ça ressemblait justement à une vaste ruche en plein air, mardi soir, place des Festivals, où des dizaines de milliers de personnes bourdonnaient avant le début du Grand Événement donné par Beast. Beast qui nous a régalés d'un miel sonore pas du tout doucereux ou sucré, mais bien fort, puissant, typé. Un miel à la fois nature et urbain!!

Retransmis en direct sur le site enmusique.ca du portail Sympatico (également en différé à compter de mercredi), le spectacle a débuté à 21h30 devant une foule de spectateurs majoritairement dans la vingtaine et la trentaine, celle qui était venue par les années passées voir ainsi, en plein ait et plein Festival de jazz, Champion, Bran Van ou Patrick Watson. Ils n'ont pas été déçus par ce spectacle à la fois musicalement et visuellement fort. En effet, gracieuseté de l'entreprise québécoise Geodezik (qui collabore avec Justin Timberlake et compagnie), des projections et éclairages particuliers ont vraiment ajouté quelque chose de pertinent au spectacle de Beast.

C'est sur des sons rappelant quasi un vol de bourdons - ou les sirènes d'une ville - que le show a débuté avec Finger Prints, sur laquelle la reine des abeilles elle-même, Betty Bonifassi a pu jouer de sa voix incroyablement puissante, souveraine, impériale. Cette fille a du coffre, du chien, de la présence, c'est assez hallucinant. Elle s'est contentée de lancer «Hello, ma grosse gang, on s'appelle toujours Beast et on est content d'être ici», s'exprimant plutôt en musique. La mise en scène de Brigitte Poupart misait sur le sonore, le visuel, pas le blabla et personne ne s'en est plaint. Avec le guitariste Serge Nakauchi Pelletier et le bassiste-claviériste Jonathan Dauphinais multipliant les envolées électriques, Jean-Philippe par moments survolté à sa batterie (notamment pendant Arrow !) et Miss Betty inébranlable à la voix, que demander de plus ?

Tous les morceaux du disque éponyme de Beast ont été interprétés, souvent rehaussés par deux choristes en feu, un solide quatuor à cordes ou une chorale toujours aussi étonnante (la chorale bulgare, en costume national, qui les accompagnait au Club Soda). Que ce soit Microcyte, City (avec des projections extraordinaires de Montréal envahie par des abeilles, le corps de Betty Bonifassi se transformant même en humain géant fait d'insectes !), Ashtray, Ennio (qui n'est pas sur l'album) ou Dark Eyes, toutes avaient quelque chose de décapant - ou de déstabilisant, comme ce moment où la chorale bulgare a entonné a cappella une mélopée mystérieuses (et appréciée). Les trois premiers quarts d'heure ont plutôt été sur le mode sombre et rock (disons que Beast est plus jazz par son attitude d'expérimentation que par son son...). La dernière demi-heure s'est plutôt tournée vers le plaisir, le groove... et le rock, et dès que Mr. Hurricane a retenti, la foule s'est mise à danser, à se faire aller les bras. Out of Control a fait bouger tout le monde (ça tombait bien, il faisait de plus en plus frais !), y compris quand le quatuor à cordes y est allé d'une envolée folle, appuyé par la chorale.

La finale du spectacle a été électrisante à plus d'un titre : Arrow, on l'a déjà dit, a pu compter sur un Goncalves incandescent à la batterie et Devil a été tout simplement hallucinante, soulevant la foule au complet. On se demandait bien ce qu'il allait advenir d'une demande qui avait été faite avant le spectacle : texter sur son cellulaire le mot « abeille » à un certain numéro de téléphone. On a compris quand a commencé le rappel, l'implacable Satan : les cellulaires se sont mis à faire bzz, bzz, (disons qu'on l'a plus ou moins entendu, mais c'était vraiment rigolo et « fédérateur »comme idée), pendant que Jean-Phi et Betty, déguisés en abeilles, se sont mis à donner une interprétation particulièrement réussie de Satan, d'abord en duo, puis accompagnés de leurs musiciens qui jouaient du tambourin, puis du quatuor à cordes qui jouait aussi du tambourin, puis des choristes qui jouaient des hanches, enfin de la chorale bulgare qui jouait de la voix. On le répète, pas sûre que le texto bourdonnant y ait été pour quelque chose, mais le fun était franchement pogné - et on est carrément passé du «bzz bzz» au buzz véritable. Bref, un spectacle «beastial» jusqu'à la fin.