Il suffisait de quelques mesures pour le constater: l'Espagnol Chano Dominguez n'est pas un grand pianiste mais un très bon. Le premier pianiste (connu) de tradition flamenca à avoir pu atteindre un tel niveau tout en mettant de l'avant une esthétique aussi séduisante, ce qui est en soi remarquable.

Il est d'autant plus réjouissant que le musicien espagnol ne vise pas la proéminence du flamenco sur le jazz, ou vice versa. Qu'il s'applique à «brouiller les pistes» entre les deux grandes traditions qu'il fréquente. C'est du moins ce que j'ai pu constater dimanche au Théâtre du Nouveau Monde, dans le cadre de la série El duende flamenco.

L'instrumentation de la première partie au programme excluait la contrebasse (prévue au programme) et n'admettait finalement que la percussion, sauf le clavier: batterie de Guillermo McGill, palmas du chanteur Israël Fernandez Munoz, talons et semelles du danseur Joaquin Grilo Mateos.

Moderne dans les harmonies, très rythmique dans le phrasé, percussif dans l'attaque, étoffé dans ses impros, ancré dans la tradition flamenca. Voilà une description très sommaire de Chano Dominguez. La voix perçante, féline, d'Israël Fernandez crée alors un complément au piano qui nous ramène au patrimoine authentique de ces artistes espagnols venus nous le faire partager.

Le solo qui suit n'est pas particulièrement flamenco, quelques espagnolades en sont des éléments constitutifs, mais comprend aussi des visites dans la Caraïbe, avec en prime une courte citation de St.Thomas de Sonny Rollins, clin d'oeil à ce dernier pendant qu'il se produit simultanément à la Wilfrid.

La deuxième partie du concert inclut dans l'ensemble la contrebasse (mal sonorisée) de Mario Rossy, et a pour objet de transformer le contenu de l'album Kind of Blue - tel qu'annoncé en interview par le principal intéressé.

On commence par l'incontournable Flamenco Sketches, ponctuée par un charmant ole! du chanteur et qui intègre des caractéristiques évidentes du genre hybridé pour l'occasion - chant, battement des mains, citations flamencas dans les improvisations pianistiques. Le tempo s'accélère ensuite, ça vire presque au jazz latin.

Le programme se poursuit avec la pièce Freddie Freeloader, interprétée avec la complicité du danseur, de la contrebasse et du batteur (qui joue également du cajon dans ce contexte), et des palmas qui font passer cette relecture en cinquième vitesse.

Avant de migrer vers le concert (très inégal) du pianiste Herbie Hancock, j'aurai pu goûter à cette belle adaptation du poète Rafael Alberti pour la ballade immortelle de Miles Davis: Blue in Green.

Est-il besoin d'ajouter que les pistes ont été brouillées... avec goût!