Plus clairement circonscrit que la veille, le programme que préconisait samedi le trompettiste sarde Paolo Fresu, dans le cadre de la série Invitation, le liait au célèbre guitariste américain Ralph Towner. Grosso modo, la matière au programme était celle de Chiaroscuro, cet album lancé récemment sous étiquette ECM. Comme il était facile de le prévoir, cette matière s'est révélée davantage sur scène que sur disque.

Ralph Towner était armé de deux guitares à six cordes, une classique et une autre «baryton», faite sur mesure afin de lui permettre d'évoluer dans un registre plus grave. Paolo Fresu, lui usait de la trompette, mais ne négligeait pas le bugle. Aucune pédale, aucun effet électronique au menu.Punta Giara, un thème de Ralph Towner, rappelle cette première rencontre avec Paolo Fresu en Sardaigne, il y a 20 ans. On passe ensuite à Wistful Thinking, les ondes placides se déplacent dans l'atmosphère et promettent d'y rester jusqu'à la fin. Cette musique est simple et calme, portée par des harmonies modernes. Elle ne laisse se dégager que des lignes mélodiques épurées, claires, élégantes. Le jazz émerge ça et là, notamment avec la ballade Blue in Green, grand classique de l'album Kind Of Blue. Beautiful Love, un autre standard, précédera un peu plus loin la pièce titre de l'album. Après quoi, on vivra une succession de références celtes, jazzy, brésiliennes. Plaisir palpable dans la salle.

Bien que Ralph Towner ne fasse pas énormément dans le solo, on peut dire que son soutien harmonique implique des éléments improvisés, cela dépasse clairement le simple soutien à l'instrument mélodique. Dans ce contexte, le trompettiste et bugliste ne se permet que des phrases relativement courtes, misant davantage sur la richesse de la sonorité que de l'articulation. On peut ainsi parler d'un dialogue riche et soutenu.

Voilà un son qui, dans les années 70, m'avait profondément séduit alors que je m'initiais à ce jazz de chambre à l'européenne. Trois décennies et demie après mon premier concert de Ralph Towner (avec Oregon, au Théâtre Outremont), je n'ai pas boudé mon plaisir en redécouvrant ce guitariste que Paolo Fresu écoute aussi «depuis toujours». Et je conclus à un agréable épisode du 31e FIJM. Où la profondeur de l'expression l'a emporté sur l'ornement, en ce début de soirée de samedi au Gesù.

Bien sûr, la technique de guitare acoustique a beaucoup évolué depuis que Ralph Towner fut l'un des premiers à nous dévoiler les avancées, tant de guitaristes acoustiques ont dépassé les standards techniques de cet Américain... qui conserve néanmoins sa singularité. Et dont le lien avec Paolo Fresu étoffe les propositions. Ces improvisations sobres et circonspectes, pour la plupart inspirées, s'apparentaient au frémissement, au battement d'aile, à la respiration profonde. Elles évoluaient effectivement dans le clair-obscur. Ce qui, en italien, signifie chiaroscuro.