En 1990, deux DJ actifs sur les scènes hip hop et électronique britanniques, Matt Black et Jonathan More (mieux connus sous le nom de scène Coldcut), ont jeté les bases de cette étiquette qui a d'abord offert du matériel aux DJ et scratcheurs de leur trempe - de la nourriture de disc-jockey, «dj food».

Les années 90 peuvent être considérées comme l'âge d'or du breakbeat électronique, et Ninja Tune a été l'un des phares de cette époque florissante pour les musiciens, DJ et collectionneurs de vinyles, enfouis sous les parutions de Mo'Wax, Cup of Tea, Planet Mu, Skam et autres labels indépendants ayant marqué le genre.

«On a souvent associé Ninja Tune au trip-hop, indique Strictly Kev de DJ Food, en concert ce soir. Dans les années 90, c'est ce dont on parlait. Mais ce qui distingue le plus le son du label, c'est le funk, ça a toujours été l'élément rassembleur. On dirige le label comme on donnait nos DJ sets: en mélangeant toutes sortes de musiques. Ninja Tune est synonyme de diversité.»

Et les artistes? Pensons à The Herbalizer, Funki Porcini, Amon Tobin et son indémodable Bricolage, Up, Bustle & Out ou encore le Montréalais Kid Koala, qui présente The Stew ce soir au Métropolis.

«Pour moi, Ninja Tune a toujours été un espace de liberté, dit le Kid. Difficile de trouver un point commun entre tous les artistes du label.»

Kid Koala fut le premier artiste de Ninja Tune à ne pas être originaire de Grande-Bretagne, scellant ainsi cette relation privilégiée qu'a toujours eu le label avec Montréal, où ses premiers bureaux nord-américains ont été établis. «Vraiment, je ne pensais jamais qu'ils allaient me faire signer un contrat, se rappelle le platiniste de renom. Je savais qu'ils avaient apprécié mon mixtape (Scratchhappyland, réédité en vinyle 10''), mais je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'ils me rappellent, trois ans plus tard. C'est grâce à Ninja Tune que j'ai pu faire ma première tournée internationale.»

Vingt ans plus tard, les DJ ont largement abandonné le bon vieux 12'' au profit des technologies numériques. Il en est de même pour le seul et unique maître à bord du projet DJ Food, Strickly Kev (Kevin Foakes de son vrai nom), qui explique: «La différence entre le concert de ce soir et le DJ set que j'ai donné la dernière fois (au même festival, en 2005), c'est l'image. Je vais faire un set audio-vidéo, je jouerai des chansons en format numérique, auxquelles j'ai associé des images vidéo, de sorte que je manipule en même temps le son et l'image.»

La petite révolution numérique des performances de DJ Food/Strickly Kev touche aux fondements du label pour lequel il travaille depuis 1993, d'abord en tant que directeur artistique et graphiste - c'est Foakes qui a conçu le fameux logo de Ninja Tune. «Bien sûr, le vinyle est de moins en moins utilisé par les DJ, commente Kev. Mais, honnêtement, je crois qu'on vit une belle époque pour les DJ, puisque la technologie permet à la créativité de ces artistes de s'exprimer autrement.»

Anniversaire et nostalgie

Reste que l'anniversaire a des relents de nostalgie. Célèbre-t-on le passé d'une étiquette autrefois prestigieuse sur la scène électro underground, mais aujourd'hui déclassée par la vigueur des jeunes (Hessle Audio, Hyperdub, Werk, Tectonic, Numbers, etc.) ou la rigueur des vieux (Warp, toujours aussi pertinent après 21 ans d'existence)?

«Il y a certes un peu de nostalgie, entre autres à cause du coffret des classiques du label qu'on va sortir et du livre-hommage sur lequel je travaille. Ninja Tune a perdu un peu le cap ces dernières années en lançant des albums qui n'ont pas eu l'impact souhaité, mais je crois que le label est de retour sur la bonne voie, avec London Zoo, de The Bug, les albums de Poirier, le projet The Slew, de Kid Koala, et bientôt celui de Toddla T.

«Ninja Tune a connu un sommet au tournant du siècle, puis l'inévitable creux, ça arrive à toutes les bonnes étiquettes. J'ai confiance, je sens que le label est de retour», conclut Strickly Kev.

Kid Koala, DJ Food et Spank Rock, ce soir au Métropolis; Poirier, le 28 juin au Club Soda; Anti-Pop Consortium, le 2 juillet au Club Soda; Bonobo et Mr.Scruff, le 3 juillet au Métropolis.