Lionel Richie triomphait depuis un bon moment à la salle Wilfrid-Pelletier quand j'ai dû lui fausser compagnie. Depuis un peu plus d'une heure, le crooner américain alternait entre ses ballades que son public fervent chantait à l'unisson et ses chansons plus rythmées qui le faisaient danser et crier comme si on en était à l'ultime rappel.

Ces chansons dataient pour la plupart des années 80. On l'aurait oublié que le son typé des claviers et le look du jeune guitariste poilu nous l'auraient aussitôt rappelé. C'était donc une affaire de nostalgie, mais tout le monde y trouvait son compte, le public souriant et la vedette qui nous disait qu'avoir su, il aurait chanté cinq soirs plutôt que deux au Festival de jazz de Montréal.

Lionel Richie est un entertainer à l'américaine. Il mise sur ce qu'on appelle dans le jargon du métier un schtick, une recette éprouvée aussi efficace que prévisible. Il joue les animateurs de foule au piano comme au-devant de la scène, flatte ses fans montréalais en leur disant que c'est sa meilleure soirée à vie puis les fait rigoler en leur confiant que dans les rues de Montréal, les gens l'appellent Léon. Sa voix est ordinaire et sa musique manque de mordant - c'est à peine si on entendait le poilu quand il faisait un solo de guitare avec force mimiques. Mais il a les chansons, de I'm Easy à Dancing on the Ceiling en passant par Endless Love, pour laquelle il a recruté toutes les chanteuses de la salle en remplacement de Diana Ross.

Disons que Cassandra Wilson, la caution jazz de ce gala d'ouverture, n'a pas fait le même effet à ce public qui était venu voir Lionel. Quand je suis arrivé à Wilfrid-Pelletier, elle chantait de sa voix grave sa version de Harvest Moon de Neil Young, suivie d'une You Don't Know What Love Is tout aussi feutrée. Elle s'est éclipsée pendant la chanson suivante, un country-blues plus entraînant qui n'a pas convaincu pour autant le public de lui réclamer un rappel.

Boz Scaggs

Le contraste entre l'ambiance intimiste du concert de Cassandra Wilson et la frénésie qui régnait au Théâtre Maisonneuve quelques minutes auparavant était frappant. Boz Scaggs venait de jouer en guise de deuxième et dernier rappel l'irrésistible Lido Shuffle que ces fans qui l'attendaient depuis 40 ans avaient chantée à pleins poumons avec lui.

À sa toute première visite à Montréal, Scaggs n'a pas déçu, loin de là. Lui aussi nous a offert des chansons d'il y a quelques décennies, enrichies de solos de qualité, en plus de piger dans le répertoire de Fats Domino et Allen Toussaint. Avant Lido Shuffle et le blues immortel Loan Me Dime, le public avait accueilli avec un plaisir évident les Jojo, Lowdown et Look What You've Done To Me. Mais c'est quand la pétillante choriste Monet a fait sienne Something To Talk About de Bonnie Raitt que l'atmosphère est vraiment devenue électrique. La dame s'est tellement donnée que tout le monde, spectateurs et musiciens, l'a ovationnée. Elle en a même versé quelques larmes.

Boz Scaggs n'est pas le plus charismatique des artistes de scène. Pensez à un Eric Clapton qui, plutôt que de s'exprimer avec sa guitare, le ferait avec sa voix. Mais quelle voix, mes amis! Grasse à souhait et capable de partir dans la stratosphère l'instant d'après. Un pur délice qui a ravi les spectateurs.

Scaggs, lui aussi, a les chansons. Dont certaines ont un son qui trahit leur âge, gracieuseté des claviers. Mais avec ses excellents musiciens, il parvient à transcender les époques en faisant une musique vibrante, inspirée et pertinente.

Souhaitons qu'on nous le ramène bientôt.