La Suède accueillera l'an prochain son premier festival de musique interdit aux hommes. Le Statement se veut une réponse aux violences sexuelles perpétrées contre les femmes durant ces événements. À Montréal, où ont lieu plus de 100 festivals chaque année, des mesures moins radicales sont prises pour assurer la sécurité des festivalières.

Le festival statement

Durant l'édition 2017 du plus grand festival de musique de Suède, le Bråvalla, quatre viols et une vingtaine d'agressions ont été rapportés, occasionnant l'annulation de l'événement. «Certains hommes - car ce sont des hommes - ne peuvent manifestement pas se comporter correctement, c'est une honte», avaient déclaré les organisateurs du Bråvalla. En réaction à ces incidents, la militante féministe et comédienne Emma Knyckare a lancé l'initiative d'un festival exclusif aux femmes, le Statement. Grâce à une campagne de financement, elle a récolté les fonds nécessaires à la mise en place d'un festival rock sans hommes pouvant accueillir 10 000 personnes et qui se déroulera sur deux jours, les 31 août et 1er septembre 2018.

Une initiative polarisante

Bien que la proposition de bâtir cet «espace sécuritaire» pour les femmes ait eu des échos positifs, elle a également été critiquée par des internautes du monde entier. Véronique Pronovost, doctorante en science politique à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du Réseau québécois en études féministes (RéQEF), précise que la démarche est incomprise par plusieurs personnes, mais tout à fait légitime et «symptôme d'un malaise important».

«Toute initiative qui vise à améliorer le sentiment de sécurité des femmes est légitime», affirme pour sa part Dorothy Alexandre, présidente du Conseil des Montréalaises (CDM), une instance consultative municipale pour les questions liées à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la condition féminine. 

«Si le festival [en Suède] affiche complet, ça prouvera qu'il répond à une demande de gens qui se sentent moins en sécurité dans les festivals généraux et qui voulaient une alternative pour pouvoir vivre pleinement une activité extérieure comme celle-là.»

En sécurité à Montréal?

Une étude montréalaise récente révèle que 56 % des festivalières auraient été victimes de paroles ou de gestes déplacés lors d'un festival. En réponse à ces conclusions, le promoteur evenko, qui organise notamment Osheaga et îleSoniq, et l'Équipe Spectra (Festival international de jazz de Montréal, FrancoFolies) ont instauré l'été dernier une initiative baptisée «Hirondelles». Des équipes de sécurité formées spécialement pour les besoins des femmes et des personnes vulnérables ont été déployées sur les lieux des événements. «Nous récidiverons évidemment en 2018, mais cette fois, avec nos trois festivals, Montréal en lumière, les FrancoFolies ainsi que le FIJM», nous a confié le directeur des relations de presse de Spectra, Greg Kitzler, par courriel.

56 %: C'est la proportion des festivalières qui disent avoir été victimes de paroles ou de gestes déplacés lors d'un festival, selon une étude menée par le Conseil des Montréalaises auprès de 976 femmes plus tôt cette année*. Les femmes LGBTQ+ et racisées se sont révélées être plus souvent victimes de ces violences que les femmes hétérosexuelles.

* On parle ici d'insultes, de vols, d'exhibitionnisme, de brutalité physique, d'attouchements, de baisers non désirés, d'être suivie ou même du dépôt de substances illicites dans une consommation.

37: C'est le nombre de femmes qui ont dit avoir été agressées sexuellement (sur les 976 femmes interrogées). 

Pas de statement montréalais

La création d'un festival calqué sur le Statement n'est pas envisagée ici. Par contre, des espaces réservés aux femmes existent à Montréal, tout en étant plus spécifiques et à petite échelle. «[Ils] sont habituellement temporaires, précise Véronique Pronovost. C'est d'ailleurs le cas de rencontres de comités ad hoc dans des milieux très diversifiés, autant dans les milieux politiques que culturels.»

PHOTO AMY HARRIS, ARCHIVES INVISION/ASSOCIATED PRESS

Des festivalières assistent à un concert au festival Voodoo Music Experience, à La Nouvelle-Orléans, au mois d'octobre.

Ailleurs dans le monde

À Paris, le festival afroféministe Nyansapo, dont certaines sections étaient réservées aux femmes noires, a été lancé en mai dernier, créant une vive controverse. Il existe d'autres événements d'où les hommes sont exclus: le festival français Féminaissance, le Festival international du film lesbien et féministe de Paris, etc. De 1976 à 2015, aux États-Unis, le célèbre festival de musique Womyn, créé, géré et uniquement fréquenté par des femmes, était un autre exemple de ces espaces proscrits aux hommes. Le festival Glastonbury, en Angleterre, a inauguré en 2016 un espace consacré aux festivalières, The Sisterhood, alors que cinq cas d'agressions sexuelles avaient été déclarés aux autorités au cours des deux éditions précédentes.

Du sexisme inversé?

Beaucoup de ces initiatives, dont celle du festival Statement, sont étiquetées comme du «sexisme inversé». Une notion «qui n'existe pas», précise la doctorante Véronique Pronovost. «Pour que ce soit du sexisme, cela doit être inscrit dans un système. [...] On n'a qu'à penser à la question des salaires, de la violence, de l'accès au pouvoir, etc.», indique-t-elle.

PHOTO STEVE C. MITCHELL, ARCHIVES INVISION/ASSOCIATED PRESS

Des festivalières prennent part au festival Lollapalooza, à Chicago, en 2015.