Marie-Nicole Lemieux et Karina Gauvin se retrouveront ensemble cet été le temps d'un récital au Domaine Forget et l'occasion était trop belle pour ne pas tenter de les avoir ensemble au bout du fil. Il en a résulté une entrevue atypique, traversée de grands éclats de rire, de souvenirs et de confidence de ces deux grandes amies.

Elles rient, s'interrompent, renchérissent, racontent. Lorsque Marie-Nicole Lemieux et Karina Gauvin se retrouvent, on a envie de simplement les écouter. De les relancer, l'air de rien, sur leurs premières rencontres, grâce à leur professeure Marie Daveluy, sur leur premier concert ensemble, donné à New York peu après le 11-Septembre, sur leur amitié et sur leur amour de la musique.

La carrière de Karina Gauvin avait déjà démarré lorsque les deux femmes se croisent pour la première fois, au conservatoire de Chicoutimi. «Tu avais ta robe noire et orange et tu étais dans la tournée des Jeunesses musicales. Tu venais de remporter le prix de Radio-Canada. T'étais arrivée, tu cherchais les coulisses et je t'avais dit: "C'est par là!"», raconte Marie-Nicole Lemieux avec son expressivité habituelle. Lors d'une autre visite, la contralto se souvient d'un compliment que lui a fait celle qui deviendrait son amie, après l'avoir entendue chanter. «Tu m'avais dit: "Tu es la Terre!", ou quelque chose comme ça».

Karina Gauvin est plus posée que son amie, au bout du fil, en ce petit matin de semaine. Mais elle ne peut faire autrement que de sauter dans le train. «Ce que tu ne sais peut-être pas, lui répond-elle, c'est qu'avant que je t'entende live, Marie [Daveluy] m'avait fait jouer une cassette. J'avais juste dit: "Wow"! C'était magnifique. J'avais la bouche grande ouverte en l'écoutant.» 

Vous l'aurez compris, leur amitié s'est construite sur une grande admiration mutuelle et une certaine complémentarité. L'exubérance chaleureuse de la contralto répond à la tempérance pétillante de la soprano. Sur scène, c'est magnétique. Leur évidente connexion ravit les spectateurs. «La première fois qu'on a chanté ensemble, ça a été automatique, on est capable de coller nos fins de phrases, les dernières consonnes, sans se regarder», indique Marie-Nicole. 

«C'est très étrange, ça arrive rarement dans le monde musical. On n'a pas besoin de parler, on a seulement besoin de faire», croit Karina Gauvin.

Requiem à New York

Le contexte de cette «première fois» était très particulier. Les deux cantatrices chantaient dans le Requiem de Mozart, au Lincoln Center, sous la direction de Bernard Labadie, peu après les attentats du 11 septembre 2001. «C'était irréel de voir toutes ces affiches de personnes recherchées, partout dans la ville. Il y avait une espèce de silence, très étrange pour la ville de New York. Nous étions dans un drôle de monde, très onirique, comme si une chape de plomb était tombée sur la ville», raconte Karina. 

Marie-Nicole, elle, avait remporté le Concours musical international Reine-Élisabeth-de-Belgique un an plus tôt et était au bout du rouleau. «J'étais là et je n'étais pas là. En même temps, j'étais tellement impressionnée par l'ampleur du contrat de l'événement, c'était immense. Je devais livrer la marchandise. Après ça, j'ai décidé de prendre un repos de cinq semaines, j'ai tout annulé. Je l'écoute souvent ce Requiem-là, c'est tellement beau, mais c'est comme si j'entendais quelqu'un d'autre chanter.» 

Les deux femmes rentrent ensemble au Québec en autocar et engagent un dialogue libérateur, pour évacuer la tension. «On avait ri tout le long! Je pense qu'on a rendu tout l'autobus fou, il y en avait plusieurs qui n'étaient plus capables de nous entendre», raconte Marie-Nicole en riant de plus belle. «L'élastique a lâché», ajoute Karina.

Leur amitié est une affaire de plaisir, de mots, de bienveillance et de simplicité, qui se tricote depuis plus de 16 ans maintenant. «On a du fun. On aime bien manger. Quand on mange quelque chose de bon, on dirait que ça devient contagieux, que les gens autour ont envie de se joindre à nous autres», illustre Marie-Nicole. 

Plaisirs musicaux

Professionnellement, elles ont eu le bonheur d'enregistrer un disque de duos de Handel avec l'orchestre Il Complesso Barocco d'Alan Curtis, Streams of pleasure, paru en 2011. «C'est vraiment un highlight», souligne Karina. « Mais paradoxalement, on ne l'a jamais fait en concert », note Marie-Nicole. «Ils n'arrivaient pas à nous avoir ensemble», explique Karina. «C'est toujours un peu ça le problème, conjuguer les deux horaires...» «On va y arriver, c'est lancé dans l'univers.» Lorsqu'elles disaient que l'une finit la phrase de l'autre, ce n'était pas des blagues. «On a eu vraiment du plaisir à faire l'enregistrement, il fallait nous arrêter, on avait tendance à se mettre à rire et à jaser», conclut Karina, ce qu'on croit sans peine. 

En concert, elles ont aussi chanté La Passion selon saint Matthieu et Solomon avec les Violons du Roy, ainsi que Jules César avec Alan Curtis, une expérience qui a beaucoup marqué Marie-Nicole Lemieux. «C'était à Vienne, Karina fait une Cléopâtre magnifique avec sa robe bleu royal. À la fin de tout, on chante un duo ensemble. La réaction des gens était incroyable. On n'avait pas encore fini et les gens se sont mis à crier, mais à crier... Il y avait une espèce de jubilation.»

Karina renchérit: «Quand on chante ensemble, ça fait souvent ça. Nos deux voix mises ensemble créent quelque chose de plus, qui nous dépasse.» Elles n'ont toutefois jamais chanté ensemble dans un opéra complet, avec mise en scène, scénographie, etc. «Avis aux entendeurs!», s'exclament-elles. 

Du chant, pourtant, elles se parlent rarement. Même si elles sont conscientes de partager le respect de la musicalité et un certain esthétisme hérité de leur mentore Marie Daveluy. Pour le récital qu'elles présenteront au Domaine Forget à la fin juillet, elles chanteront Gounod, Mendelssohn, Schumann... «Juste du beau. Très varié.»

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Le Festival international du Domaine Forget se tient du 17 juin au 20 août à Saint-Irénée, dans la région de la Capitale-Nationale.