Pour la première fois en Amérique du Nord, débarque celui qu'on appelle le «prince du raï»: Kader Japonais, un surnom qu'il doit à ses yeux légèrement bridés et son faciès asiatique. Son premier atterrissage sur une scène montréalaise, le Rialto, sera-t-il comparable à celui de Khaled au Spectrum il y a plus d'un quart de siècle? Il y a lieu de le croire. Très chaud vendredi soir en perspective!

Avant la grande traversée, un coup de téléphone s'impose. En direct d'Alger, Kader répond timidement à la première question. «En quoi je me démarque de Khaled, Rimitti, Hasni, Mami, Zahouania? Je continue le développement de la chanson raï. J'ai un style... euh... un style Kader Japonais!»

Le chanteur se rend alors compte que son français rudimentaire résume mal sa pensée. Il réclame l'aide de son agent pour la préciser au journaliste. Un deuxième coup de fil, et nous revoilà à Alger.

«Ce qui fait son style, c'est à la fois la préservation et la modernisation des anciens styles raï. Ainsi, Kader réunit les quatre R: raï, reggae, rap, rock. Sa voix est d'ailleurs très rock. Chose aussi très importante, il a très bien saisi l'humeur des jeunes Algériens. Dans notre pays, les jeunes se cherchent eu égard à l'État, leur société, leur culture, leur mode de vie, leur existence à venir. Beaucoup s'identifient à Kader, qui sait leur parler», explique Sidali Akloul, avant de rappeler que 70 % de la population algérienne a moins de 30 ans.

Les parents de Kader Japonais étaient du Sud, lui a grandi dans le quartier Bab El Oued d'Alger. Ses origines modestes lui confèrent un vrai statut de vedette issue du peuple. Qui plus est, il est la première star du raï à ne pas venir d'Oran ou de l'ouest du pays.

«Il ne peut pas se balader seul dans la rue, il est beaucoup trop populaire. Il marche très fort dans tout le Maghreb, surtout le Maroc, après l'Algérie. En Europe, il se produit dans les plus grandes salles de Paris, de Marseille et des autres villes de France. Un plateau d'artistes maghrébins et arabes se présente à Bercy? Kader Japonais est toujours de la partie. On se souhaite maintenant un succès mondial. En Amérique, ce sera d'abord Montréal au Festival du monde arabe. On sera à New York en mars prochain.»

Est-il besoin de rappeler que le raï de Kader Japonais est une expression musicale venue des couches populaires? Longtemps, cette expression fut jugée rustre et vulgaire par les classes aisées d'Afrique du Nord. Depuis trois décennies, le raï a rempli la fonction du rock dans le Maghreb. Tout chanteur raï qui se respecte en est parfaitement conscient: «J'ai écouté les enregistrements des années 30 et 40, dont Cheikh Hamada. J'ai surtout écouté les maîtres: Cheikha Rimitti, Cheb Hasni, Khaled», résume Kader Japonais, qui prépare un nouvel album après le succès de masse remporté par l'opus Oscar il y a deux ans.

Son agent souligne en outre que ce mélange de vieux et de neuf évoque les premières manifestations du raï, qui remontent à 1928. «Dans les musiques populaires du monde moderne, le raï fut le premier "R" à revendiquer la culture des jeunes, à exprimer leurs problèmes, leurs espoirs, leurs amours. Le raï a connu plusieurs périodes, il s'est actualisé au contact de la culture rock et reggae dans les années 80 et 90. Plus récemment, il s'est frotté au rap.»

Une lourde responsabilité

Raï mondialisé, en somme. Qu'en pense Kader Japonais?

«Il y a encore un énorme travail à accomplir pour sortir de nouveau le raï de son contexte local. Je veux reprendre le flambeau, faire mieux, mais... c'est une lourde responsabilité. Vais-je y arriver? Ça m'angoisse. C'est une mission qui me pèse, mais j'ai le devoir de l'accepter et d'essayer de la remplir.»

Vieux routier de la pop algérienne, l'agent Sidali Akloul estime qu'un nouveau cycle est venu pour le raï, notamment parce que plusieurs artistes algériens expatriés en Europe ont perdu cette notion du raï, ses valeurs cruciales, son expression viscérale. «Malgré tout, il vaut mieux émerger en Algérie et rester fidèle au style.»

Kader Japonais ne quitte donc pas le pays qui l'a vu naître et n'a pas l'intention de le faire: 

«Je ne peux pas abandonner les jeunes Algériens, ces 25 millions de jeunes qui ont besoin d'espoir et de modèles. Et puis mon inspiration artistique reste algérienne. Si je dois parler la langue de bois dans ce pays? Tout est librement exprimé dans mes chansons. Il n'y a pas de tabous. Les textes que je commande à mes paroliers, dont Nair Abdelkader, s'adressent aux jeunes qui ne veulent rien savoir de la langue de bois.»

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Kader Japonais se produit ce soir, à 20 h, au Théâtre Rialto, accompagné de cinq musiciens, dont le percussionniste virtuose Rafik Maknin.