Envoyez d'l'avant, nos gens! Envoyez d'l'avant! Ils sont venus en familles, nombreuses, et en groupes, à pied, en auto, en canot même, ce couple de hippies modernes dans un esquif de bois qui portait une signature abénakise: MEDAWLTEKW, «l'Esprit qui vient de la rivière», nous dira son pagayeur, un jeune blond dans la vingtaine.

Depuis vendredi, la sinueuse rivière L'Assomption imprégnait son esprit de fête sur le parc Bosco de Saint-Charles-Borromée, splendide espace riverain où s'est tenu jusqu'à hier le 20e festival Mémoire et racines, «célébration des arts traditionnels d'ici et d'ailleurs». Comme les méandres de ladite rivière, Mémoire et racines se promène entre la musique et le conte, la danse et la chanson. Plaisirs, retrouvailles et découvertes...

Au coin de la tente-resto, le jam pro-am a duré tout l'après-midi: accordéons, violons, guitares et une contrebasse où se relayaient des connaisseurs de reels, de sets et de rigodons. Autour, beaucoup de têtes blanches mais des jeunes aussi, plein, comme à l'«atelier de transmission» de podorythmie qu'animait Michel Bordeleau au chapiteau «À pieds levés».

Lieu bien nommé quand on sait que cet artiste, section rythmique à lui seul, a fait du tapage de pieds un instrument de musique à part entière, comme la batterie dans le jazz des années 30. «Je gagne ma vie avec la musique», nous dira Bordeleau, un résidant de Saint-Côme. La planche, les souliers à semelles de cuir, la chaise où l'on s'assoit «le dos ben accoté». Tikétac! Tikétac!

Au chapiteau «Accordons-nous», l'atelier de violon fait voir le vaste champ stylistique de la musique traditionnelle québécoise et des musiques desquelles elle est issue. Voici Lament for O'Donnell, slow air irlandais joué par Patrick Ourceau, un Français initié à la chose traditionnelle dans le Québec des années 70 et devenu depuis résidant de Toronto.

Musiques du monde entier à l'instrumentation riche et diverse. Alex Kehler du trio montréalais Les Siffleurs de nuit - «musique bretonne à la façon québécoise» - détonne dans le groupe de violoneux avec sa nickelharpa, sorte de vielle à clavier suédoise qu'il porte comme une guitare mais joue avec un archet: 16 cordes avec touches de nombre variable, selon les goûts. Plus tôt, à l'atelier de cordes, Colin Savoie-Levac nous avait présenté, sauf erreur, le cistre irlandais, instrument à fond plat inspiré du bouzouki grec, 10 cordes doubles en métal, sonorité riche mais «dur à accorder».

Spectacle-retrouvailles

L'événement du jour, samedi - 200 personnes sous le chapiteau et autant dehors -, était bien sûr le spectacle-retrouvailles de la Bottine souriante de 1982, le quintette qui, avec le microsillon Chic & Swell, a donné à la musique traditionnelle québécoise une densité et un allant nouveaux. Formée d'instrumentistes de talent - le violoniste était Martin Racine -, La Bottine a toujours été une machine à la rythmique impeccable - Michel Bordeleau s'y est fait un nom dans le temps -, mais la prestation acoustique de samedi nous a rappelé la richesse harmonique des voix d'Yves Lambert (accordéon), Daniel Roy (flûte), Mario Forest (harmonica) et André Marchand (guitare), maintenant avec le trio, très «trad» Le bruit court en ville, qu'il forme avec la violoniste Lisa Ornstein et l'accordéoniste et chanteur Normand Miron.

La Bottine 82, qui a donné hier soir le spectacle de clôture de ce 20e Mémoire et racines, pourrait reprendre la route demain sans un trémolo... Avec Son p'tit porte-clés tout rouillé, gaiement - La Ziguezon Zinzon!

Notre découverte? Le quintette montréalais Notre Dame de Grass. NDG reste dans la pure tradition du bluegrass - merveilleux Josh Zubot au violon - mais fait mentir le vieil adage selon lequel l'herbe est toujours plus bleue dans le jardin du voisin...