Après Matsumoto, Paris et New York, La damnation de Faust débarque au Festival d'opéra de Québec. La grande force de la proposition de Robert Lepage, c'est qu'elle donne au public l'impression d'assister non pas à la présentation d'un opéra, mais à la naissance d'un monde magique peuplé de fées et de démons.

Comme le note Berlioz dans sa partition, La damnation de Faust est une «légende dramatique». Il s'agit d'une sorte d'«opéra de concert», de fresque lyrique, librement inspirée du Faust de Goethe. On est loin de la transposition fidèle à l'oeuvre originale. Le résultat fait davantage penser à un rêve ou à un souvenir. Respecter et servir cette dimension onirique semblent d'ailleurs avoir fait partie des préoccupations de Robert Lepage et de son équipe.

L'ensemble de l'espace scénique est découpé en 24 cases réparties sur 4 niveaux. Ces cases sont autant de surfaces de projection qui, au fil des scènes, forment une mosaïque de petits écrans ou, au contraire, un seul et immense écran.

Tel Mephisto, Lepage réussit d'un claquement de doigts à conduire son public des plaines de Hongrie au cabinet de travail de Faust, de la cave d'Auerbach aux rives de l'Elbe. Autre prouesse technologique, un dispositif capable de détecter la chaleur permet l'interaction en temps réel entre les mouvements des interprètes et les projections. Les pirouettes des danseuses font valser les rideaux. Les hautes herbes s'écartent au passage des soldats.

Travail en atelier

Neilson Vignola est l'assistant de Robert Lepage depuis les débuts de l'aventure de La damnation, en 1997. Il a secondé le metteur en scène lors de la création au Festival Saito Kinen de Matsumoto en 1999, puis lors des reprises à Paris en 2001 et en 2005, et à New York en 2007 et en 2009. C'est lui qui supervise la production à l'affiche au Festival d'opéra de Québec. Sa tâche, dit-il, consiste notamment à rassurer les interprètes.

«Avec Robert, on commence par développer plein de choses en atelier avec des artistes et des acrobates. Ces ateliers nous permettent de construire un langage et de valider des images. Une fois que tout a été essayé, c'est moi qui dois vendre aux chanteurs toutes les manigances qu'on leur fait faire.»

Le décor conçu par Ex Machina règle plusieurs problèmes de mise en scène. Les déplacements des chanteurs et des choristes sont réduits au minimum. La plupart des mouvements sont assurés par des figurants, des acrobates et des danseuses qui, eux, n'ayant pas à chanter ou à regarder le chef, jouissent d'une grande liberté d'action. De plus, comme le dispositif est installé au premier plan, aucun chanteur n'est loin de l'orchestre ou du public.

«La damnation est avant tout connue comme une oeuvre de concert, rappelle Neilson Vignola. Je trouve que ce qu'on a fait est un des meilleurs traitements possible. On rend l'oeuvre vivante, très vivante, et on permet aux chanteurs de se concentrer sur le chant.»

Le chef d'orchestre Giuseppe Grazioli abonde dans le même sens. «Cette production passe d'un monde à l'autre, de celui de l'oratorio à celui de l'opéra, en continuité. Je trouve que ça capte plus l'esprit de ce que Berlioz avait pensé, avec un langage très moderne, qui est celui de la vidéo, des images très raffinées, de la technologie. Ça peut avoir l'air d'une banalité, mais je pense vraiment que si Berlioz vivait à notre époque, il aurait souhaité un spectacle comme ça.»

La musique de Berlioz trouve sa raison d'être dans les images qu'elle a le pouvoir de susciter dans la tête de l'auditeur. «Ça peut aller très loin, pense le maestro. Je trouve qu'une mise en scène comme ça aide le public à plonger dans ce monde irréel. L'image augmente encore le potentiel d'évocation de la musique.»

> La damnation de Faust, les 25, 27, 29 et 31 juillet, salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec.

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Un rôle très attendu pour Julie Boulianne



Il y a longtemps que Julie Boulianne a rendez-vous avec Marguerite, l'héroïne de La damnation de Faust. À deux reprises, déjà, des maisons d'opéra lui ont confié le rôle. Chaque fois, ces productions ont été annulées. Bref, le rôle était prêt, et la mezzo-soprano n'attendait que l'occasion de l'interpréter sur scène.

«La troisième fois est la bonne», dit-elle avec un soupir de soulagement.

Elle ne perdait rien pour attendre quand on songe à la qualité de la production à laquelle elle participe. «C'est le rêve! C'est une production que j'ai déjà vue et que j'ai bien aimée. C'est certain que reprendre un rôle fait par Susan Graham peut vous faire sentir un peu petit. On s'entend surtout qu'elle mesure un pied de plus que moi!»

Scène

À Québec, Julie Boulianne partage la scène avec le ténor Gordon Gietz (Faust), qu'elle a côtoyé à Vancouver dans Roméo et Juliette, ainsi qu'avec la basse John Relyea (Méphistophélès), en compagnie duquel elle a joué au Metropolitan Opera de New York.

Parlant du Met, la mezzo originaire du Lac-Saint-Jean doit y retourner la saison prochaine. Elle fera notamment partie de la distribution de Rusalka. 

D'autres projets l'attendent à Cleveland et à Reims.