Pendant combien de décennies peut-on rester en cr*ss? La question se pose après l'écoute du dernier disque de Slayer, le très bon World Painted Blood, paru en 2009. Tom Araya y hurle comme à son habitude. Mais peut-être a-t-il hurlé un blasphème de trop. Après des problèmes de dos qui ont forcé deux fois l'annulation de la tournée avec Megadeth, le chanteur a éprouvé des problèmes de voix plus tôt cette année.

«Oui, Tom a perdu sa voix à Paris puis à Berlin, raconte au téléphone le batteur du groupe, Dave Lombardo. Heureusement, il l'a retrouvée les deux fois. Elle était de l'autre côté de la rue...»

Silence de quelques secondes.

Lombardo, l'homme aux turbo-pieds de marteau, au regard glacial et un peu absent, vient-il de jouer à Bozo le clown? Il semble que oui. «Bon, désolé, c'était une blague stupide», reprend-il pour rompre notre mutisme perplexe.

Ses disciples peuvent se rassurer. World Painted Blood n'est pas un disque comique. L'habituelle liste d'épithètes revient pour décrire cette 11e mouture studio des hérauts du trash metal. Sulfureux, brutal, abrasif et parfois macabrement atonal. Un cri infernal joué à 220 bpm, si vite que ça ressemble presque à un drone.

Lombardo ajoute un autre mot plutôt surprenant: «organique». «Les timbres du dernier album (Christ Illusion) avaient été beaucoup trop trafiqués en studio, avoue-t-il. Cette fois, le son est plus brut et dépouillé. Ça se rapproche de nos concerts.»

Cette réalisation est signée Greg Fidelman, qui a aussi travaillé sur Death Magnetic de Metallica. «C'est autour de ma batterie qu'il y avait le plus de micros en studio», lance Lombardo. Après écoute, on le croit.

Beauté, ordre, haine

Après 29 ans de carrière, l'iconographie de Slayer reste toujours aussi sympathique, comme le prouvent la médiévale Public Display of Dismemberment, la fascisante Beauty Through Order ou la quasi internationaliste Hate Worldwide.

Faut-il l'interpréter au premier, au deuxième ou au 666e degré? Est-ce une réflexion sur la violence ambiante, une fascination pour le lugubre, un anticléricalisme provocateur ou une simple exigence esthétique du métal reproduite machinalement?

Lombardo reste peu loquace sur le sujet. En parler ne semble pas l'intéresser. Peut-être que le sujet même n'intéresse pas le seul membre du groupe à ne pas contribuer aux textes.

Parlons plutôt de la véritable essence de Slayer, la pure énergie. Autant celle des musiciens que celle de leur armée de fidèles qui n'en ont que pour Slayer, Slayer, Slaaaaaayyeeeer. Lombardo ne se lasse pas de s'en abreuver.

«Sur scène, je suis presque absent, raconte-t-il. C'est difficile à expliquer. Je me perds dans un autre monde, dans une soupe d'adrénaline. Je connais tellement bien notre musique que je peux totalement m'y abandonner. J'ajoute des segments pour rendre une chanson plus exotique, je vais frapper un tambour différemment ou allonger un roulement. Ça amuse les fans, et ça m'amuse aussi. Les gars, eux, se demandent si je vais finir à temps pour le prochain changement de rythme. Je réussis toujours.»

À 45 ans, l'immigré cubain et ancien livreur de pizza est devenu une icône de la musique de décibels. Que fait-il pour garder la forme? «Rien de vraiment spécial, répond-il. Juste de jouer cette musique, ça suffit.»

C'est une musique exigeante, assez pour qu'il perde quelques livres à chaque concert. Mais ce n'est pas la musique la plus technique de sa discographie. Ses collaborations avec Mike Patton et John Zorn étaient encore plus complexes, avoue-t-il. «Slayer est très difficile, mais différemment, précise-t-il ensuite. C'est une difficulté très physique.»

Il indique que Fantômas pourrait lancer un autre disque, tout comme Philm, autre projet qu'il a fondé. Quant à Slayer, World Painted Blood est le dernier disque de leur contrat. Qu'est-ce qui viendra après?

«Oh, simplement continuer à faire des disques et des tournées. Vous savez, le facteur n'arrête jamais d'apporter les factures.»

En spectacle au festival Heavy MTL, ce soir à 19h20, Slayer doit jouer l'intégralité de Seasons in the Abyss, son album classique de 1990.

Illustration Francis Léveillée, La Presse

Le journaliste métalleux Paul Journet.