Samedi soir, dès 18 h, le festival Mural donne toute la place à un trio de DJ de l'étiquette Fool's Gold : A-Trak, High Klassified et Shash'U. Tous originaires du Québec, ils seront accompagnés par les rappeurs Jazz Cartier, A$AP Nast et Lou Phelps. L'événement Crate Diggers, organisé par Discogs, se tient également aujourd'hui, au Centre Phi. La journée a commencé à midi avec une foire de vinyles, puis se termine par une soirée animée par le légendaire Egyptian Lover, précédé de Rich Medina et de Lexi. Montréal vibrera aujourd'hui.

A-TRAK: CATÉGORIE A

La renommée internationale du DJisme montréalais est redevable en partie à A-Trak, dont on vante les talents depuis la fin des années 90.

Les amateurs de hip-hop et d'électro plus âgés se souviennent de sa victoire à la fameuse compétition DMC, alors qu'il n'était âgé que de 15 ans. Ils sont beaucoup plus nombreux à l'avoir vu oeuvrer derrière Kanye West, pour qui il fut le DJ de tournée de 2004 à 2008.

Il s'est ensuite consacré à une carrière solo tout en menant les opérations du label Fool's Gold, fondé en 2007 avec son ami et partenaire Nick Catchdubs (Nick Barat). Plusieurs enregistrements d'envergure l'ont aussi mis en valeur ; on pense notamment au duo disco house Duck Sauce avec Armand Van Helden et à ses collaborations avec le célébrissime Diplo.

« Ça fait exactement 20 ans que j'ai commencé ! », souligne fièrement A-Trak, joint en Californie, et ce, dans un français remarquablement préservé.

« Lorsque j'ai quitté Montréal, rappelle Alain Macklovitch (de son vrai nom), je me suis installé à New York, mais j'ai maintenant un domicile à Los Angeles, car on y trouve des infrastructures industrielles essentielles à ma profession et à mon entreprise. Ça m'a conduit à m'installer sur la côte Ouest, tout en conservant un lieu à New York où je suis encore très actif. Mon vrai domicile ? Ma valise ! »

Fool's Gold Records existe donc depuis 10 ans. Des pointures du hip-hop et de l'électro y ont été associés, tels Danny Brown, Flosstradamus ou Run The Jewels, mais aussi une flopée d'artistes doués, quoique moins connus ou émergents. Qui plus est, l'étiquette offre une place de choix à des DJ et réalisateurs d'ici. On pense à Shash'U, High Klassified ou Black Atlass, sans compter le fameux groupe électro-R&B-disco Chromeo, dont fait partie le frangin David Macklovitch.

PLUS QU'UN DJ, PLUS QU'UN LABEL

Fool's Gold est plus qu'une maison de disques, croit en outre A-Trak.

« Par exemple, l'entreprise vient d'ouvrir une boutique Fool's Gold à Brooklyn. On y vend des vinyles, mais aussi des vêtements. La musique et la mode vestimentaire sont intimement liées dans le hip-hop et l'électro. Ça fait partie du style de vie et ça fait donc partie de la marque Fool's Gold. On fait d'une pierre deux coups pour joindre notre public. C'est une union naturelle, mais notre entreprise demeure d'abord musicale. »

Force est de déduire que les opérations d'affaires d'A-Trak sont considérables, mais qu'il tient à poursuivre sa carrière de DJ-réalisateur et performeur.

« Je garde la forme et j'ai à coeur que cette profession musicale impose le respect, qu'elle puisse se maintenir et s'émanciper encore et encore. »

« Le DJisme a tellement évolué depuis mes débuts ! Les outils ne sont plus les mêmes, l'approche est souvent très différente. »

A-Trak

La performance DJiste, reconnaît-il en outre, suscite moins d'intérêt qu'avant. L'étoile des scratch mixers ne brille plus autant, on est loin des années glorieuses de Q-Bert, Jazzy Jeff, Apollo, Premier et autres Kentaro...

« Il y a un malentendu, à tout le moins un manque d'information, pense A-Trak. Depuis l'arrivée des supervedettes de l'EDM, le grand public ne sait pas toujours ce qu'il entend, une forte portion n'en retient que les tubes qui ressemblent à des chansons pop. Très souvent, les fans viennent aux spectacles des DJ parce qu'ils en aiment les chansons et non le reste du travail. »

Voilà pourquoi A-Trak compte lancer une nouvelle compétition destinée à honorer la virtuosité DJiste : les Goldie Awards se tiendront à New York en septembre prochain. DJ et beatmakers y seront évalués devant public par des personnalités du milieu - Diplo, Just Blaze, Craze et autres Mannie Fresh sont quelques-uns des juges.

« Je tiens à maintenir cette dimension du DJisme, mais avec tous les outils désormais disponibles. Certaines compétitions maintiennent les vieux standards [platines et vinyles], je crois qu'il est désormais possible d'épater le public avec les outils actuels permettant une manipulation spectaculaire en temps réel. »

SOIRÉE FOOL'S GOLD ET AMIS À MURAL

Cela dit, A-Trak sait fort bien qu'il est possible de créer de la bonne musique électro ou hip-hop sans être un champion du scratch mix. Voilà pourquoi il présente le plateau itinérant Day Off, qui s'amène à Montréal dans le contexte du festival Mural.

« Je respecte toutes les approches créatives et je veux faire connaître les meilleurs de notre profession en présentant les événements Day Off. Ces plateaux ne présentent pas exclusivement des artistes mis sous contrat chez Fool's Gold, il y a aussi ceux qui font partie de notre famille élargie. L'excellent MC torontois Jazz Cartier est un bon exemple. »

Ne reste qu'à vous souhaiter la bienvenue chez vous, A-Trak !

Présenté dans la Zone principale du festival Mural (adjacente au 3527, boulevard Saint-Laurent), samedi soir, de 18 h à 23 h.

Photo tirée de la page Facebook d’A-Trak

A-Trak et High Klassified

HIGH KLASSIFIED: DÉJÀ DANS LE HAUT DU... KLASSEMENT

Kevin Vincent, 24 ans, exerce le métier de réalisateur électro-hip-hop depuis le tournant de la vingtaine. Il est devenu High Klassified, le voilà déjà parvenu dans le haut du... Klassement !

Bosse avec The Weeknd, avec Future, avec Mick Jenkins, avec les rappeurs français Joke et Dosseh. Voyage partout en Amérique du Nord, partout en Europe, dans plusieurs pays d'Asie. Mis sous contrat chez Fool's Gold Records, pour qui il a lancé deux EP et en concocte un troisième.

Difficile de faire mieux en quatre ans de pratique !

Le jeune homme vient de Laval, et ne cache pas vivre encore chez ses parents originaires de Port-au-Prince. On l'imagine attaché à son clan malgré une existence de nuitard.

Comme tant de kids enclins au hip-hop ou à l'électro, High Klassified avait commencé à bricoler ses beats dans sa chambre de banlieue.

« J'avais 16 ans, je m'y étais mis avec mon ordi et autres outils. J'ai progressivement garni ma banque de sons. Puis j'ai commencé à suggérer mes beats. Plus tard, mes amis du collectif Artbeat Montréal m'avait demandé de faire un DJ set, j'ai fini par me décider. J'avais alors 20 ans pour mon premier set au Blue Dog. J'ai mis ma musique en ligne, les choses se sont passées rapidement. »

DJ DE SA PROPRE MUSIQUE

High Klassified ne vient pas du DJisme, il tient à le souligner : 

« Je n'étais pas directement marqué par les DJ ; très simplement, j'ai commencé par réunir des beats qui me plaisaient et que je mixais avec des sons plus abstraits. Je ne me considère pas comme un DJ, mais plutôt comme un compositeur-réalisateur qui présente sa musique en performance. Je ne fais pas usage de lecteurs CD ou de platines. » 

« Ce que je diffuse est un mélange de musiques originales et de pièces créées par d'autres, possiblement traitées. Je suis donc sur scène parce que les gens aiment mes beats et les musiques que j'ai choisies. »

- High Klassified

On comprendra que la ligne entre la création et la diffusion n'est pas clairement tracée, que l'art de ce High Klassified est typique de l'ère numérique. Tout s'imbrique, se confond, se superpose, s'additionne. Tous ces sons trouvent preneurs sur différentes plateformes du web et finissent par prendre place sur scène comme en studio.

« Je suis très actif dans les médias sociaux, souligne notre interviewé. Plusieurs de mes beats sont joués sur Snapchat, on va les reconnaître pendant mes performances devant public. Alors je fais en sorte que ce soit une grosse fête et non une démonstration technique. Je sais ce que mon crowd veut entendre, je sais ce à quoi les gens s'attendent de moi. J'essaie juste de proposer une bonne sélection de musique et de respecter le tempo. »

D'abord associé au hip-hop, High Klassified se montre ouvert à d'autres déclinaisons. « Je peux jouer les styles house, drum'n'bass ou techno, mais la base est hip-hop et R&B. Pharrell Williams est mon producteur préféré, j'écoute TOUT ce qu'il a fait depuis ses débuts. J'adore aussi Ryan Leslie, je connais à fond ses productions. Et, puisque je suis un gamer, la musique des jeux vidéo marque mon subconscient, notamment celle de Nobuo Uematsu. Je m'en inspire indirectement. »

LAISSER LA CHANCE VENIR À SOI

High Klassified ne se présente pas comme un enfonceur de portes.

« J'ai commencé à mettre ma musique sur SoundCloud, on m'a appelé. Les choses viennent à moi, je ne cherche pas à me vendre ; je suis chanceux, j'imagine. Mes principaux contacts internationaux ? Future a utilisé un de mes beats pour la chanson Comin Out Strong. Je travaillais alors avec The Weeknd et c'est lui qui m'a branché sur Future. Ce que je fais avec The Weeknd n'a pas encore été rendu public, mais nous travaillons ensemble depuis un moment, à son studio de Toronto ou à distance. Je collabore également avec les rappeurs français Joke et Dosseh. Aux États-Unis, il y a eu aussi Mick Jenkins. »

Le cul bordé de nouilles, il dit ne pas tant chercher à faire des placements de beats auprès de stars.

« Je cherche davantage à développer ma carrière solo. Le troisième EP sortira chez Fool's Gold, ça sera mon cinquième si l'on ajoute mes deux "beat tapes" non officiels. Et... non, je n'ai pas de projet d'album. J'aime les pièces courtes, cinq ou six chansons, c'est vite écouté et vite réécouté. C'est mon format. »

On peut comprendre. Tout va très vite pour High Klassified.

Photo tirée de la page Facebook de High Klassified

High Klassified

SHASH'U: PWRFNK AU DERRIÈRE !

Compositeur, réalisateur, DJ, lié aux labels Fool's Gold et Joy Ride, Shash'U est un acteur crucial de la scène hip-hop de Montréal, certes l'un de ses créateurs les plus allumés, de surcroît l'initiateur d'un sous-genre qu'il se plaît à nommer PWRFNK (lire «power funk»).

Richard Saint-Aubin a aujourd'hui 33 ans. Il a grandi au sein d'une famille « classique » d'immigrés haïtiens, très portée sur l'éducation, la culture et les arts.

« L'art était très présent à la maison, raconte-t-il. Ma mère peignait et faisait des vêtements, mon père jouait de la guitare. Alors j'aimais beaucoup dessiner et faire de la percussion dès l'école primaire [Saints-Martyrs-Canadiens, à Ahuntsic]. Plus tard, mon père m'a donné accès à sa guitare classique et à sa collection de vinyles. À l'adolescence, mes intérêts artistiques se sont naturellement dirigés vers le hip-hop, le beatboxing, la danse de rue [break dance], etc. »

Vers l'âge de 16 ans, Richard a créé ses premiers beats.

« J'avais acheté des composants pour rendre mon ordi plus performant, absorber des logiciels plus costauds, engranger plus de sons. De fil en aiguille, je me suis acheté des platines, une table de mixage, des claviers, un contrôleur MIDI, etc. »

Il devait toutefois trimer dur pour arriver à ses fins, bosser à temps partiel afin de se procurer tous ces bidules.

« Mes parents étaient là pour moi, mais ils n'avaient pas les moyens de me payer tout ça. Il leur fallait aussi des résultats, et ils n'y ont cru que lorsqu'ils ont vu et entendu. » 

- Shash'U

« Mes parents ont été rassurés lorsque j'ai fait une école de sonorisation, l'Institut d'enregistrement du Canada [RAC]. J'en ai tiré des connaissances qui m'ont permis de perfectionner ma création. »

Depuis la précédente décennie, Richard Saint-Aubin est un vrai beatmaker. Il est Shash'U. Il a fréquenté le collectif Artbeat Montréal et le mouvement local PiuPiu (Knlo, Vlooper, Kaytranada, High Klassified, etc.). Il fut aussi proche du label Silence d'or, on l'a vu oeuvrer auprès du MC Rymz. Il est aujourd'hui directeur artistique de l'étiquette Joy Ride Records en plus de mener une carrière solo qui ne cesse de gagner en importance.

Son approche ?

« Je suis beaucoup plus compositeur-réalisateur que DJ, estime-t-il. Je conserve quand même les platines, auxquelles j'ajoute des claviers, logiciels et outils d'intégration - Ableton, Roland DJ 808, etc. Ma musique émerge de tout ça. »

Quant au PWRFNK dont il se réclame, Shash'U s'inspire de l'esprit hip-hop et fonde sur le groove funk électro et rap des années 80. Parmi les références, il cite Prince, Shamalar, Egyptian Lover, Arabian Prince, World Class Wreckin' Cru (premier groupe de Dr. Dre), mais aussi la Miami bass ou même l'électro-krautrock de Kraftwerk.

« J'aime les beats et ces sons que je transforme avec des références musicales d'aujourd'hui. Pour mes enregistrements du label Fool's Gold, c'est ainsi que j'ai grandi musicalement et précisé mon identité. »

DE NOMBREUSES COLLABORATIONS 

Shash'U a tourné en Europe, aux États-Unis et en Océanie. Il a collaboré avec maints artistes de réputation nationale ou internationale - A-Trak, Lunice, Kaytranada, Chromeo, James DiSalvio (Bran Van 3000), Youssoupha, Kutmah, Gage ou Gilles Peterson.

Or, il se consacre également à l'émancipation de la scène montréalaise. Il semble que Joy Ride Records s'inscrive dans la continuité du label Silence d'or. Il fréquente actuellement des artistes tels Rymz, David Lee ou Karma Atchykah. Parmi les prospects identifiés par Shash'U, il faudra compter sur Jai Nitai Lotus et Jamvvit.

Tous les jeudis, notre interviewé anime la soirée Swish au Don B Comber. Hormis sa participation au Day Off de Fool's Gold ce soir, on le verra sur ces scènes extérieures aux Francos avec Rymz (17 juin) et Laurence Nerbonne (15 juin). Il prévoit sortir deux albums au cours des mois qui viennent, un par label auquel il est associé. Rien de moins !

Lorsqu'on a le PWRFNK au derrière...

Shash'U