Transplantés en France, la soprano marocaine (amazigh) Aïcha Redouane et le percussionniste (et ethnomusicologue) libanais Habib Yammine se consacrent passionnément au volet musical de la Nahda, renaissance et réaffirmation de la grande culture arabe à la fin du XIXe siècle. De concert avec un quatuor à cordes issu de l'ensemble montréalais OktoEcho, ce couple charmant s'apprête à nous immerger dans cet art du maqâm arabe. Avant quoi ils nous en expliquent les fondements avec conviction, générosité et courtoisie.

Rappelons que le maqâm est un système musical issu des cultures persanes, turques et arabes. Fondement de la musique classique orientale, ce système mélodique et rythmique (non harmonique) prévoit d'innombrables variantes (les maqâms, carrément), canevas musicaux ouverts à la contribution innovante des compositeurs et improvisateurs qui s'appliquent à les réinventer au temps présent.

Ainsi, les maqâms ont connu différentes trajectoires historiques, et convergé vers la Nahda.

Habib Yammine : « Les maqâms arabes, persans ou turcs appartiennent à la même famille. Ce sont des musiques modales, c'est-à-dire que les intervalles mélodiques sont différents de ceux de la musique occidentale. Nous nous intéressons particulièrement aux maqâms arabes, parce qu'ils constituent une synthèse des trois traditions orientales. Associée à la Nahda, cette synthèse fut façonnée par de grands maîtres de musique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, soit à l'époque de la colonisation au Proche Orient. Encore aujourd'hui, cette synthèse représente la base de la musique classique arabe. »

On aura compris que ce système musical est complexe, qu'il ne s'agit pas de musique traditionnelle à la portée de bardes amateurs. Or, contrairement à ladite musique sérieuse à l'occidentale (partitions écrites, consignes précises d'interprétation, etc.), le maqâm arabe se veut un système ouvert.

Aïcha Redouane : « Cet art exige une connaissance approfondie des modes et des familles de modes musicaux à partir desquels les possibilités de formulation sont infinies. Ainsi, nous avons le loisir de créer de nouvelles formulations mélodico-rythmiques et donc de proposer des expressions inédites. C'est de l'ancien nouveau... ou du nouvel ancien. C'est actuel ! »

Habib Yammine : « Plus précisément, un même maqâm peut être exprimé par une mélodie composée qui dure deux minutes ou par une mélodie improvisée qui en dure vingt. Le maqâm est un point de départ, un parcours ouvert, mais comportant des règles rigoureusement élaborées par les théoriciens au fil des siècles. Or, ces règles ne cessent d'évoluer. Elles doivent être apprises et transgressées. Un maître de musique doit dépasser ces règles.»

Faute d'institutions d'enseignement en Occident, il y a près de trois décennies, nos interviewés ont dû se réapproprier cet art du maqâm arabe.

Aïcha Redouane : « Lorsque Habib et moi nous étions rencontrés à l'époque, nous nous étions enfermés pendant cinq ou six ans afin de maîtriser le langage musical de la Nahda. Pour y parvenir, nous avions d'abord écouté plusieurs 78 tours de musique classique arabe, enregistrés au début du XXe siècle, afin de nous imprégner de cette expression. Nous nous sommes appliqués à faire revivre ces musiques tout en restant ouverts à d'autres styles musicaux. J'ai appris les maqâms par un travail soutenu d'écoute et par la pratique. J'ai aussi appris le chant lyrique occidental avec des professeurs en France, où j'ai grandi. »

À l'évidence, ces artistes ne sont ni puristes ni dogmatiques. Ouverts aux autres cultures, ils aiment adapter leur art à d'autres contextes.

Habib Yammine :  « À Montréal, nous avons prévu un programme pour un quatuor à cordes (violon, alto, violoncelle, contrebasse) sous la direction de Katia Makdissi-Warren, à qui nous avons confié les arrangements de nos compositions et autres pièces choisies dans le répertoire classique arabe.

Avec les musiciens québécois, nous ne ferons pas comme lorsque nous nous produisons avec des Orientaux; nous essaierons plutôt de mettre en valeur le caractère expressif de chaque culture et de chaque instrumentation (orientale et occidentale), sans que l'un n'écrase l'autre.»

Issu de la Nahda, l'art du maqâm arabe est aussi une démarche spirituelle soufie, que nos interviewés considèrent aussi constituante de leur identité.

Aïcha Redouane : « Nous travaillons à mettre en musique un choix des plus grands poèmes soufis. Nous leur cherchons les plus belles expressions maqâmiennes. Nous nous appliquons ainsi à transmettre le sens de la beauté, de l'amour, de la douceur, de la tolérance et du respect de l'autre tel qu'il se présente à nous. Ces valeurs se trouvent au coeur de l'islam. C'est dans ce sens-là que je vis mon art. Que je le porte. »

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Ce samedi, 20h, à la Cinquième Salle de la Place des Arts, le concert Maqâms d'amour réunit la chanteuse Aïcha Redouane, le percussionniste Habib Yammine et l'ensemble OktoEcho Kristin Molnar, violon, Amina Tebini, alto, Carla Antoun, violoncelle, Jean-Félix Mailloux, contrebasse.