Parmi la centaine de conteurs qui participent au 11e Festival interculturel du conte, qui s'ouvre vendredi, il y a la Suissesse Catherine Gaillard, pour qui le conte est un art engagé qui permet autant de rendre hommage à la révolutionnaire Flora Tristan que de célébrer l'homosexualité des Amazones. Discussion avec une conteuse pas ordinaire.

Catherine Gaillard est une digne héritière du mouvement féministe, qu'elle assume parfaitement. Il ne s'agit pas pour elle d'une mode qui a connu ses heures de gloire dans les années 70. «Ce serait comme dire que la lutte contre l'esclavage n'était qu'une mode, lance-t-elle, au bout du fil. Mais c'est vrai qu'il y a un retour en arrière. Il y a de véritables campagnes de désinformation, souvent portées par des femmes, qui se sentent obligées de se détacher de ce mouvement et qui disent: «Je ne suis pas féministe, mais je pense que 30% d'élues...» Ici, à Genève, c'est terrible. Vous êtes beaucoup plus actifs et vivants au Québec.»

Catherine Gaillard est devenue conteuse un peu par hasard, lorsqu'on lui a demandé de raconter des histoires à un groupe de mères en 1995. Elle y a pris goût, a suivi une formation, remporté des concours et est aujourd'hui une conteuse professionnelle. C'est aussi une mère et une militante, présidente de l'Association des lesbiennes de Genève. Ses préoccupations se traduisent dans ses spectacles. Elle en présentera deux au 11e Festival interculturel du conte: Les Amazones, d'hier à aujourd'hui et Flora Tristan, les pérégrinations d'une paria.

On est pas mal loin de Cendrillon, disons. Catherine Gaillard estime que l'Histoire, écrite bien sûr par les vainqueurs, a laissé une image négative des Amazones, ces femmes guerrières de l'Antiquité qui vivaient sans hommes. «J'ai voulu aller derrière les mythes. Je me suis renseignée auprès d'historiennes: il y avait des villages entiers gouvernés par des femmes, et ça s'est terminé par un génocide, dit-elle. Ce qui m'intéressait aussi, c'était de faire le lien avec aujourd'hui, sur un mode comique. C'est un raccourci saisissant (rires). Une très longue traversée du désert jusqu'à notre époque, où enfin les lesbiennes ont pu se réapproprier une existence, avouée, visible.»

Héroïne oubliée

Quant à Flora Tristan, il s'agit pour Catherine Gaillard d'une véritable héroïne, elle aussi injustement écartée des manuels d'histoire. «En France, on s'est empressé de l'oublier, alors qu'elle est une figure principale du XIXe siècle, celle qui annonce la condition des femmes, le syndicalisme. Après elle, le monde ne sera plus le même. C'est un ovni, un peu comme si quelqu'un d'aujourd'hui avait été transporté au XIXe siècle et affirmait que c'est insupportable, le capitalisme, l'esclavage, l'absence de droits des femmes. On dirait une sorte de mystique laïque!»

Si les livres d'histoire diminuent l'apport de ces héroïnes, la parole engagée et le conte peuvent garder en vie leur mémoire. «Je pense que c'est important, quand on a une parole vivante, de dire ses convictions, tout en restant artistique», croit Catherine Gaillard.

Cela est aussi vrai que l'on s'adresse aux adultes ou aux enfants. La conteuse travaille à un spectacle pour les 5 ans et plus, qui portera sur la surconsommation, l'exploitation, la publicité, l'écologie... «Les enfants sont de plus en plus considérés comme des consommateurs. On doit leur dire: «Vous êtes des cibles.»»

Après tout, il leur faut probablement des conteuses comme Catherine Gaillard pour leur raconter le monde autrement...

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Flora Tristan, les pérégrinations d'une paria, le 28 octobre, 20h, à la maison de la culture du Plateau-Mont-Royal, et Les Amazones d'hier à aujourd'hui, le 29 octobre, à la maison de la culture Frontenac.

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Nos choix

Une centaine de conteurs et conteuses d'ici et d'ailleurs se donnent rendez-vous à Montréal et dans d'autres villes du Québec pour le 11e Festival interculturel du conte. Quelques suggestions:

> La Grande Nuit du conte, spectacle d'ouverture du festival, avec une douzaine de conteurs: Nabila Ben Youssef, Catherine Gaillard, Claude Delsol, Fahem Abes, Victor Cova Correa, Michal Malinowski, Kientenga Pingdéwindé, Bertrand N'Zoutani, Robert Seven- Crows Bourdon, Mike Burns, Éric Gauthier, Claudette L'heureux et Marc Laberge. Le 21 octobre, de 20h à minuit au Gesù.

> Contes d'amour et de vie, avec Jocelyn Bérubé, Kim Yaroshevskaya et Denis Poliquin. Le 25 octobre, 20h, à la maison de la culture

> Les nouveaux visages du conte au Québec, présentés par Jean-Marc Massie. Le 27 octobre, 20 h, au Cabaret du Roy, dans le Vieux-Montréal.

> Le Marathon du conte, en compagnie d'une quarantaine de conteurs. Le 30 octobre, de midi à 22 h, à la maison de la culture Frontenac.