Entre la blondeur de Rihanna, les rallonges claires de Beyoncé et les perruques de poupées de Nicki Minaj, le cheveu crépu féminin peine à voir la lumière du jour dans l'espace public. Dans l'Amérique de Michelle Obama, 80% des femmes noires ont recours à des défrisants, perruques ou autres ennemis du mouvement capillaire naturel. Le festival FRO, événement du Mois de l'histoire des Noirs, entend redonner aux boucles négroïdes leur fierté. En passant par le cheveu, FRO aborde aussi la question de l'identité noire.

Avec sa crinière de dreadlocks foisonnante, la slammeuse BerekYah est une fière ambassadrice de l'émancipation libre du cheveu crépu. «J'ai été adoptée par une famille québécoise. Ma mère, qui est coiffeuse, m'a toujours interdit de me défriser les cheveux ou d'utiliser des produits. Elle voyait une beauté dans mes cheveux crépus et savait que les défrisants étaient aussi dommageables pour mes cheveux que pour mon estime de moi», évoque la porte-parole de la fondation FRO (pour les Fondations reposent sur les origines.)

Pour la femme noire, franchir la porte du salon de coiffure et dénaturer sa chevelure n'est pas qu'affaire de coquetterie. BerekYah relève les stigmates hérités de l'esclavage, que traînent encore et toujours les cheveux crépus et les peaux d'ébène.

À une triste époque, les plus pâles et les moins frisées étaient domestiques dans les maisons, alors que les foncées et crépues travaillaient aux champs. Mais dans l'inconscient, ces préjugés ont la vie dure et s'incarnent dans «les petites misères» que s'infligent au quotidien plusieurs femmes noires, et pas les plus timorées. Oprah, avec ses perruques lisses, obéit aux diktats qui associent «richesse et cheveux de soie». L'illustre Beyoncé, avec ses longs cheveux aux reflets pâles, dénature aussi sa chevelure. En revanche, sa soeur Solange laisse libre cours à ses frisous naturels.

«Il y a encore beaucoup de racisme interne qui divise les peuples», témoigne BarakYah, qui rapporte qu'en Haïti, par exemple, les dreadlocks sont perçus comme «malpropres» et associés à une culture d'infériorité. En voyage en Afrique, BerekYah a aussi eu droit à des commentaires sur sa peau très foncée. «On me disait «hiii, t'es foncée! Faut que tu fasses quelque chose!»

Les Beyoncé, Rihanna et Janet Jackson, qui pâlissent et blondissent à vue d'oeil, incarnent aussi cette notion que pour la femme noire, l'accès à la beauté passe par la métamorphose en blanche. À la maison de jeunes où elle travaille, BerekYah constate que les jeunes filles ont du mal à s'accepter avec leurs couettes et leurs cheveux crépus. Pire: les jeunes filles concluent que pour se faire aimer, elles doivent adopter la peau blanchie, les faux ongles et l'attitude des «bad bitch» comme Nicki Minaj.

Retrouver ses racines capillaires

Michaëlle Jean, qui a fait un virage «au naturel» après des années d'artifices, a ouvert les festivités de FRO, lors d'une soirée d'ouverture à L'Astral sur le thème de l'art et l'identité noire, qui a eu lieu le 4 février. Des conférences de l'activiste américaine Angela Davis et du militant cri Romeo Saganash (le 18 février) ainsi qu'un concert de l'artiste montréalaise Jenny Salgado s'inscrivent aussi dans ces festivités sur le thème de l'identité.

Dans le cadre du volet «FRO Académie», le salon InHairitance, qui se spécialise dans les coiffures «au naturel», offrira des ateliers de soin des cheveux crépus.

Abisara Machold, la propriétaire de ce salon du quartier Pointe-Saint-Charles, rapporte que plusieurs femmes noires craignent de porter leurs cheveux au naturel, «parce qu'elles ont l'impression qu'elles ne seront pas prises au sérieux dans leur milieu professionnel».

Abisara donnera ainsi des conseils pour celles qui veulent faire la «transition» au naturel et se libérer des traitements chimiques. Des soins qui, en moyenne, s'imposent aux deux mois et coûtent environ 70$. Lors d'un second atelier, elle offrira des trucs aux mères de petites filles bouclées. «À Montréal, on vend un peu partout des produits pour défriser les cheveux d'enfants. Et comment les jeunes filles peuvent-elles se trouver belles au naturel, si elles ont toujours vu leurs mères se défriser les cheveux?», demande BerekYah.

Politique, identitaire, revendicateur, le cheveu crépu se fait l'emblème d'une lutte qui est loin d'être terminée. Parce qu'au-delà de la mode, l'afro ou les dreadlocks transmettent un message d'affirmation et d'acceptation.

Pour plus d'info sur l'événement FRO, consultez la page Facebook du Mois de l'histoire des Noirs: https://www.facebook.com/MoisHistoireDesNoirs

Pour en apprendre davantage sur le destin torturé du cheveu crépu, il faut voir le documentaire humoristique GoodHair, de Chris Rock (2009).