En quelques années à peine, l'épilation intégrale est devenue la norme chez les jeunes filles. Mais des voix protestent contre cette dictature de la peau lisse. Assistera-t-on à un retour en grâce de la toison intime, des aisselles et des jambes velues?

On les coupe, on les rase, on les arrache, on les désintègre avec des produits chimiques ou on les brûle au laser. La bataille sans fin des femmes contre leurs poils accapare l'équivalent de 58 jours de leur vie. Et leur coûte entre 10 000$ et 23 000$, selon une étude menée en 2010 par une chaîne américaine d'épilation au laser - qui veut bien sûr les convaincre d'en finir une fois pour toutes avec cette «nuisance» en optant pour la solution définitive. D'ailleurs, l'industrie de l'épilation au laser a augmenté de 15% en 2011 et de 47% depuis 11 ans, selon l'American Society of Plastic Surgeons.

La chasse aux poils est loin d'être une partie de plaisir: 86% des femmes voient le rasage comme une tâche sans fin et désagréable, bien que 82% l'estiment essentiel à leur routine beauté.

Ce n'est pas d'hier que les femmes traquent leurs poils. Mais la lutte semble s'intensifier. Les adolescentes d'aujourd'hui passent souvent leurs poils pubiens à la tondeuse dès leur apparition. «Ça fait au moins 10 ans que je n'ai pas vu de poil!», lance la Dr Diane Francoeur, gynécologue au CHU Sainte-Justine, qui travaille surtout auprès des adolescentes. «Je rencontre des petites filles de 12 ans qui ont à peine lâché les Barbie, qui n'ont pas encore de relations sexuelles, mais qui se rasent le pubis parce qu'elles entendent dire autour d'elles que c'est ce qu'il faut faire.»

Des chercheurs de l'Université de l'Indiana se sont penchés en 2010 sur la relation des Américaines avec leurs poils pubiens. Ils ont découvert que 59% des femmes de 18 à 24 ans les épilent ou les rasent complètement, en tout temps ou à l'occasion, tandis que 29% s'épilent partiellement. Seulement 12% des jeunes femmes laissent leur buisson pubien en friche. L'épilation intégrale est beaucoup moins populaire chez les femmes plus âgées: elle est pratiquée par 45% des 25-29 ans, 32% des 30-39 ans, 23% des 40-49 et seulement 11% des 50 ans et plus, révèle l'étude.

Gazon maudit

Chez les jeunes, donc, les poils sont out. Mais comment la mode a-t-elle pu se faufiler dans un endroit aussi intime? C'est la faute à la pornographie, selon la sexologue Jocelyne Robert. «Les images pornos sont tellement accessibles, les jeunes ont l'habitude de voir des sexes sans poils, des femmes adultes avec des vulves de petites filles, dit-elle. Ça a un impact sur leur imaginaire érotique et sur leurs attentes.»

Pour certains adolescents, le poil est synonyme de négligence et de malpropreté. «J'ai déjà entendu des gars dire qu'ils ne coucheraient jamais avec une fille qui a des poils pubiens», raconte Éva, étudiante de 24 ans.

Annie, une graphiste de 33 ans qui ne veut rien savoir de l'épilation intégrale, a été heurtée profondément par le commentaire d'un amant. «Il m'a dit que ce n'était pas génial pour l'amour oral que j'aie des poils, dit-elle. Ça a beaucoup nui à ma confiance en moi de me faire critiquer sur l'apparence de mon sexe.»

L'étude de l'Université de l'Indiana indique que les femmes les plus susceptibles d'adopter l'épilation intégrale sont celles qui sont en couple et qui ont reçu récemment un cunnilingus. Cette pratique sexuelle est-elle responsable de la vague actuelle? En tout cas, elle a convaincu Stéphanie. «Mon chum déteste le poil, lui-même s'épile tout le corps, raconte la traductrice de 37 ans. Ça fait environ cinq ans que je me rase complètement, et c'est rendu que j'aime ça!»

Si les femmes aiment ça, libre à elles d'éliminer leurs poils, affirme Marie-Élaine LaRochelle, jeune travailleuse communautaire qui participe au blogue québécois jesuisfeministe.com. «Mais si elles subissent la pression de leur partenaire pour se conformer à une certaine image de la féminité, c'est dommage, dit-elle. Les femmes devraient se faire assez confiance pour suivre leur instinct et développer leur pensée critique face aux modèles qu'on veut leur imposer.»

Selon elle, la fin des cours d'éducation sexuelle au secondaire a sûrement contribué à la disparition des poils. «Où les jeunes cherchent-ils leurs informations s'ils n'en ont pas à l'école? Sur le web!, note la jeune femme. Il faudrait dire aux gars que c'est normal que les femmes aient des poils.»

D'autant plus que les différentes méthodes d'épilation ne sont pas sans danger. Le Dr Marc Steben, directeur médical de la Clinique A, spécialisée en santé sexuelle, évoque les inflammations causées par le rasage, les infections transmises lors de l'épilation à la cire dans les salons d'esthétique, les brûlures causées par le laser ou les lotions dépilatoires, les kystes et poils incarnés qui se forment lors de la repousse.

«Mais quand les jeunes filles ont des problèmes et qu'on leur suggère d'arrêter de se raser, c'est comme si on leur proposait d'entrer chez les soeurs, dit en soupirant la Dr Diane Francoeur. Elles disent que leur chum va les laisser. Je leur répond que s'il les laisse à cause de ça, elles devraient se poser des questions.»

Le retour au naturel?

Devant cette tendance lourde, certaines s'insurgent et revendiquent le retour du poil. Quelques vedettes (Julia Roberts, Britney Spears, Drew Barrymore, Laetitia Casta, Kate Winslet) ont osé montrer des aisselles ou des jambes poilues, comme l'actrice américaine Mo'Nique lorsqu'elle est allée recevoir un Academy Award.

Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, des blogueuses racontent leur vie sans rasoir. Sur Facebook ou Tumblr, des groupes de femmes affichent fièrement des photos de leur pilosité retrouvée. Un site français, Téléchatte, «le site des amoureux des femmes naturelles», s'est donné pour mission de «contrer la tyrannie de l'épilation». Même l'acteur britannique Daniel Radcliffe, interprète de Harry Potter, a déclaré récemment qu'il préfère les filles au sexe non épilé.

Il y a 30 ans, des femmes s'épilaient complètement les sourcils pour ne garder qu'une ligne dessinée au crayon. Aujourd'hui, les sourcils fournis ont la cote. Dans quelques années, on entendra peut-être dire: «Vous vous souvenez de l'époque où les femmes s'arrachaient les poils avec des bandes de tissu après les avoir enduits de cire?» En effet, ça semble tellement bizarre quand on y pense...