Les noms de famille composés - les Bureau-Blouin et Nadeau-Dubois de ce monde - sont de moins en moins donnés aux bébés. La tradition reprend-elle le dessus ou le trait d'union n'est-il que momentanément mis entre parenthèses?

Quand ses parents ont divorcé, Gabrielle a changé d'identité. Sa mère s'est présentée au Directeur de l'État civil, elle a fait ajouter son nom à celui de sa fille et c'est comme cela que Gabrielle s'est retrouvée avec un nom composé. Si elle a un enfant un jour, aucun doute dans son esprit: il portera le nom de son père. «Par souci de simplicité et pour revenir à une certaine tradition.»

Gabrielle est dans l'air du temps, manifestement. Dans le cahier de fin d'année des bébés de La Presse, 89% des bébés ont reçu uniquement le nom de famille de leur père, et ce, même quand ce nom est franchement difficile à porter. Seulement 8% des bébés ont reçu un nom composé.

Le démographe Louis Duchesne, autrefois à l'Institut de la statistique du Québec, se passionne pour tout ce qui a trait aux noms et prénoms. Le cahier de La Presse ne couvre pas toutes les naissances et tout cela ne peut être qu'indicatif, mais cela va néanmoins parfaitement dans les tendances observées au cours des dernières années. «En 1992, près d'un bébé québécois sur cinq recevait un nom composé. En 2005, on n'en était plus qu'à 12% et cela semble se faire de plus en plus rare», relève M. Duchesne.

Il est assez remarquable de constater, poursuit-il, que parmi les 27 couples de parents dont au moins un a un nom composé, les deux tiers donnent un nom simple à leur enfant.

Comment expliquer la chose? Faute de données officielles émanant du Directeur de l'État civil - qui n'en tient aucune sur les noms composés -, l'anthropologue Françoise-Romaine Ouellette note qu'on ne peut pas parler d'une tendance en voie d'extinction. «La popularité des noms composés est-elle en train de baisser pour se stabiliser ou plutôt pour disparaître?»

La petite histoire de Françoise-Romaine Ouellette est elle-même intéressante. Quand la loi a changé et qu'elle a pu conserver son nom de fille, elle en a été ravie. Ravie, aussi, quand elle a pu transmettre son nom à ses filles. «Pour moi, mon identité n'avait pas à être effacée.»

Ce choix, ses filles ne l'ont pas fait. Elles n'ont donné que le nom de leur conjoint à leurs enfants.

Peut-être tout cela a-t-il à voir avec l'air du temps, avance prudemment Mme Ouellette. «Peut-être les thèmes sociaux en vogue y sont-ils pour quelque chose. On parle moins de féminisme, et beaucoup, ces années-ci, de l'importance à accorder aux pères que l'on dit fragilisés. Ou peut-être alors est-ce la tradition qui se renforce.»

«Il faut une certaine audace encore aujourd'hui à une femme pour imposer son nom, dit encore Mme Ouellette, et pourtant, on tient presque tous à notre nom.»

Tout cela mérite d'être creusé, et avec Laurence Charton, elle aussi de l'Institut national de recherche scientifique, et le démographie Louis Duchesne, Mme Ouellette entend justement entreprendre une recherche sur la transmission du nom de famille.

Quoi qu'il en retourne, Mareine Gervais-Cloutier, fille et petite-fille de féministe, se dit fier de son nom et ne le changerait pour rien au monde, «même si [elle] passe [son] temps à le répéter». «Si j'ai des enfants, il faudra voir avec mon conjoint, ce sera à discuter sérieusement!»

Marie-Ève Leclerc-Dion en est rendue à penser que l'homme qui porterait un de ses deux noms aurait un sérieux avantage concurrentiel sur d'autres soupirants!

Pour leur part, Pierre-Olivier Legault Tremblay et sa conjointe - qui a elle aussi un nom composé - ont choisi pour leur fille un nom composé des noms de chaque grand-père. Le choix, dit-il, s'est fait suivant des considérations esthétiques.

Lui-même dit n'avoir jamais souffert de ses 28 lettres bien comptées. Tout au plus a-t-il dû s'habituer à ses diverses identités. Au Québec, ses amis l'appellent P.-O. À l'étranger, il est Pierre Tremblay. Dans les bibliographies - il est chercheur -, ça va dans tous les sens. Pour l'adresse courriel, il a dû raccourcir son nom. «Sinon, personne ne m'aurait jamais écrit!»

Les jeunes adultes nés dans les années 90 auront leurs enfants ces années-ci. Il sera intéressant de voir ce que choisira la génération trait d'union. Des heures et des heures de négociation conjugale!

Et ceux qui trouvent les noms composés trop compliqués n'ont peut-être rien vu. Le démographe Louis Duchesne relève qu'il a vu apparaître au Québec un petit Nevek (Keven, épelé à l'envers) et aux États-Unis, un petit Nevaeh. Nevaeh? Heaven à l'envers.

La créativité des parents est sans fin.