Il y a 50 ans, le 11 décembre 1962, deux hommes étaient pendus à la prison Don de Toronto. C'était la dernière exécution au pays avant l'abolition de la peine capitale, en 1976. La Presse s'est entretenue avec l'une des plus célèbres militantes abolitionnistes de notre époque, soeur Helen Prejean. Son parcours dans le couloir de la mort aux côtés du condamné américain Patrick Sonnier a inspiré le livre, le film et l'opéra Dead Man Walking (La dernière marche), qui sera présenté à l'Opéra de Montréal en mars prochain.

Soeur Helen est convaincue que son livre et l'adaptation cinématographique faite en 1996, avec Susan Sarandon et Sean Penn, ont contribué à faire avancer le débat. En 1984, quand Patrick Sonnier a été exécuté, environ 85% des Américains appuyaient la peine capitale. Aujourd'hui, ce taux a baissé à 62%. Il descend même sous la barre des 50% lorsque la question posée mentionne une autre peine envisageable, soit la prison à vie sans possibilité de libération.

«Je parcours les États-Unis depuis 20 ans et je constate une chose: la plupart des gens ne prennent pas le temps de réfléchir à la peine de mort, car cela ne les touche pas de près, dit-elle. En voyant le film, des milliers de personnes ont été bouleversées. Elles ont voulu lire le livre et poursuivre leur réflexion.»

La religieuse, qui vit en Louisiane, se souvient clairement des circonstances qui l'ont poussée à écrire son livre.

«Quand je suis sortie de la chambre d'exécution, c'était la nuit. Patrick Sonnier venait d'être tué devant moi. Il m'avait regardée avant de mourir. En sortant, j'ai vomi. À ce moment, je me suis dit: "C'est parce que c'est fait en secret, derrière les murs d'une prison, que les gens l'acceptent. Ils ne voient pas comment ça se passe. Ils lisent le journal le lendemain et se disent que justice a été faite, sans réfléchir. Je dois raconter cette histoire." À travers mon récit, je voulais frapper leur coeur et leur esprit pour qu'ils comprennent que la peine de mort, c'est le meurtre prémédité d'un être que l'on a rendu sans défense et sans dignité.»

Le débat sur la peine capitale est enseveli sous la rhétorique, selon elle. Or, pour influencer les gens, il faut toucher leur coeur. À travers la dramatisation et la mise en scène, l'art peut atteindre ce but.

«Au début de l'opéra composé par Jake Heggie, nous sommes témoins du meurtre de deux innocentes victimes. Il n'y a aucun doute sur la culpabilité de l'assassin. En chacun de nous, une petite voix chuchote que si quelqu'un mérite la peine capitale, c'est bien lui. On rencontre les familles des victimes. On voit leurs larmes et leur rage. On s'identifie à leur chagrin. Mais on rencontre aussi l'accusé avec sa mère et son frère, venus lui dire adieu avant son exécution. À un autre moment, la mère du condamné est d'un côté et supplie que l'on ne tue pas son fils. De l'autre, la mère d'une victime plaide pour que son enfant soit vengé. C'est très poignant. La structure dramatique amène ainsi le spectateur d'un point de vue à l'autre, sans arrêt, pour le forcer à s'engager dans une réflexion d'ordre moral.»

Au-delà de ses aspects juridiques et moraux, la peine capitale demeure un enjeu profondément émotif, selon elle. C'est pourquoi elle suscite des débats très enflammés.

«L'aspect émotionnel qui entoure les procès pour meurtre est tellement fort qu'il nous entraîne dans une zone dépassant ce que le système juridique et la capacité de raisonnement peuvent accomplir. Il n'y a plus aucun processus raisonnable là-dedans. Chaque membre du jury sait qu'il tient la vie du condamné entre ses mains. C'est trop demander à un être humain.»

À son avis, les partisans de la peine de mort qui instrumentalisent la souffrance des familles touchées font fausse route.

«L'un des arguments est qu'on doit le faire pour les familles des victimes. Or, quand la peine de mort a été abolie au New Jersey, 62 familles de victimes ont témoigné pour dire: "Ne tuez pas en notre nom." Elles disent aussi que l'interminable processus judiciaire et les demandes d'appel les revictimisent en les faisant vivre dans l'attente pendant des années. À chaque nouvelle évolution de la cause, les médias sont à leur porte et leurs plaies sont rouvertes en public.»

De plus, les statistiques démontrent que la peine capitale n'a pas l'effet dissuasif espéré sur les criminels. Dans ce cas, à qui profite-t-elle?

«Seulement aux politiciens et aux procureurs qui se sont engagés publiquement à maintenir la peine capitale dans les États où c'est payant politiquement de le faire», conclut la religieuse.

Dans la peau d'un condamné

Huit personnalités québécoises se mettent dans la peau d'un condamné en prenant place dans une chambre d'exécution, aujourd'hui de 16h à 17h, à l'Espace culturel Georges-Émile-Lapalme de la Place des Arts, au son de la musique de l'opéra Dead Man Walking. Michel Dumont, Fanny Mallette, Lorraine Pintal, Monique Giroux, Winston McQuade, Charlotte Laurier, Étienne Dupuis et Chantal Nurse livreront leur dernier message. L'abbé Raymond Gravel agira à titre d'animateur.

La peine de mort au Canada

1481 condamnés, 710 personnes exécutées dans l'histoire

> 1859

Entrée en vigueur de la peine de mort dans le Code criminel pour le meurtre, le viol, l'incendie criminel et la trahison.

> 1961

Le seul crime pouvant mener à la peine capitale est le meurtre.

> 1962

Arthur Lucas et Robert Turpin sont les deux derniers détenus exécutés au Canada.

> 1967

Un projet de loi pour un moratoire stipulant que seul le meurtre d'un policier peut conduire à la peine de mort est adopté.

> 1976

La peine de mort est abolie la veille de la pendaison prévue de 11 détenus.

> 2010

Selon un sondage Angus Reid, 62% des Canadiens et 69% des Québécois seraient favorables à son rétablissement.

Source: Amnistie internationale

Photo: fournie par le bureau de Soeur Helen Prejean

Soeur Helen Prejean