Qui dit novembre dit mois des morts. Et qui dit mort dit pompes funèbres. Rencontre avec Kent Leclerc, un fabricant de cercueils pas comme les autres.

Petit, Kent Leclerc était déjà différent. Alors que la plupart de ses amis jouaient au ballon, lui était obsédé par Dracula et Frankenstein. «Walt Disney, ça ne m'intéressait pas, dit-il. J'ai toujours trippé sur le morbide.»

Avec l'âge, rien n'a changé. Cet ancien photographe continue d'être fasciné par la mort. Tellement fasciné, qu'il a même fondé sa propre fabrique de cercueils, Kustom Koffins, une petite entreprise qu'il dirige de chez lui, dans le quartier Rosemont.

«Au départ, c'est parce que j'en voulais un chez moi, raconte-t-il. Après, quand mes amis ont vu ce que j'avais fait, ils m'ont demandé d'en faire un pareil pour eux. Ça a commencé comme ça. Un après l'autre...»

Autodidacte, Kent Leclerc a appris à fabriquer des cercueils sur Google. Mais il n'a pas tardé à développer son propre style, inspiré des vieux westerns. Contrairement aux cercueils qu'on trouve habituellement dans les salons funéraires, les siens ne sont pas rectangulaires, mais de forme hexagonale. «Comme les croque-morts dans les vieux films de cowboys» précise-t-il. Le tout est ensuite recouvert de tissu, à l'intérieur comme à l'extérieur. Une technique assez originale, qui lui permet de donner de la personnalité à ses «oeuvres».

«Un cercueil générique, c'est déprimant, lance ce grand excentrique, passionné d'antiquités et de culture gothique. Moi j'aime la mort avec du style.»

Kent Leclerc fabrique en moyenne de trois à cinq cercueils par semaine. Quand il ne loue pas pour le cinéma, le théâtre ou des partys d'Halloween, il vend à d'autres «bizarres», qui appartiennent pour la plupart à la scène gothique, rockabilly ou fétichiste. Et, non, il ne fournit pas les chaînes.

Fait à noter: ses cercueils ne sont pas tous de grandeur nature. Il en fabrique de tous les formats et surtout, pour tous les usages. Tables à café, bibliothèques, valises, haut-parleurs et amplificateurs en forme de cercueils font partie de sa production régulière. Mais son plus gros vendeur c'est le «cercueil pour chat», souligne-t-il, le plus sérieusement du monde.

Pour les vrais morts, c'est une autre histoire. Même si «le marché est là», comme il dit, Kent Leclerc n'a jamais trop poussé de ce côté. En cinq ans, ses cercueils n'ont servi qu'à trois enterrements.

La première fois, c'était une commande spéciale. Un homme cherchait quelque chose d'original pour sa femme décédée. «On a choisi le tissu ensemble. Il m'a montré une photo de sa femme. Ça m'a donné des frissons», dit-il, encore ému par l'expérience. La deuxième fois, c'est quand il a vendu ses produits à une enterprise de pompes funèbres. Les deux cercueils ont trouvé preneurs. Mais quand la compagnie est venue le voir pour lui en commander d'autres, Kent a reculé d'un pas. Fabriquer des cercueils oui, mais en série? Pas sûr.

Il faut savoir que Kent Leclerc fabrique tous ses cercueils lui-même, dans sa cour arrière. Quand les voisins se sont plaint du bruit, il est passée de la scie mécanique à la scie à main. «C'est cool, ça me rend plus proche des gens qui en fabriquaient dans le temps». Alors pour ce qui est d'augmenter la production, pas sûr. L'homme de 43 ans, qui se décrit comme un artisan plutôt que comme un homme d'affaires, se trouve très bien comme il est. «Je ne me vois pas faire du 9 à 5. Je suis satisfait de mes horaires. Je gagne ce qu'il faut pour vivre. J'ai encore beaucoup de fun, je ne voudrais pas que ça tombe dans la corvée.»

Pas vendeur pour deux sous, Kent Leclerc a toujours fonctionné par le bouche à oreille. Il compte toutefois assister à un congrès de pompes funèbres l'automne prochain à Toronto, question de présenter ses produits.

D'ici là, peut-être aura-t-il développé sa nouvelle ligne d'urnes... en forme de cercueils. Ironique, dites-vous? Pas autant que ses dernières volontés.

«Avant je pensais que je voulais être enterré dans un cercueil en léopard, dit-il. Mais finalement j'ai changé d'idée. Tu vas trouver ça weird, mais je veux être incinéré...»

Fabricant de cercueils : une mort annoncée?

Au Québec, on comptait 10 fabricants de cercueils il y a cinq ans. Aujourd'hui, il n'en reste que six. Si la tendance se maintient, ce chiffre pourrait chuter encore.

Avec la popularité croissante de la crémation, la demande est effectivement en baisse. De plus en plus de gens se contentent de l'urne, ou louent un cercueil le temps de l'exposition au salon funéraire.

«Aujourd'hui, 80% de mes clients se font incinérer, confirme Philippe Rajotte, du Complexe funéraire Rajotte. Là-dessus, j'en ai près de la moitié qui louent le cercueil au lieu de l'acheter.»

Tradition familiale oblige: Philippe Rajotte ne tient que des cercueils fabriqués au Québec. Ses principaux fournisseurs sont Cercueils Magog et Fourniture funéraires Victoriaville, les deux importants fabricants de cercueils au Québec, en plus de l'américaine Batesville. Avec les moeurs funéraires qui changent, il constate toutefois que ses fournisseurs «patinent». Pour se renouveler, certaines ont commencé à offrir des produits dans l'air du temps, comme des cercueils écolo biodégradables. En vain. «Ça ne marche pas pantoute, dit l'entrepreneur en pompes funébres. Le monde trouve que ça fait trop rustique. Il est peut-être trop tôt. Il va falloir attendre la prochaine génération. Après les boomers, qui ne sont pas les moins pollueurs.» Il y a aussi la concurrence chinoise, qui nuit énormément à l'industrie québécoise depuis le milieu des années 2000. Leurs cercueils bas de gamme, offerts au prix d'une location, sont une alternative intéressante pour les familles moins nanties. Dans certains cas, même pas besoin de passer par le salon funéraire: on peut acheter directement du fournisseur.

Pour rester concurentiels, les fabricants de cercueils québécois se sont lancés dans l'exportation. Fournitures funéraires Victoriaville par exemple, vend au Canada et aux États-Unis. La forte croissance de décès, annoncée au Canada pour 2015, freinera peut-être leur déclin.

Photo: François Roy, La Presse