«Je rrrregarde la Terrre en son malheurrr», entonnait jadis Yvon Hubert, sur des arrangements rock pas très catholiques. Presque 40 ans jours pour jour après la mythique Messe des morts à l'Oratoire, le chapitre oublié des « messes à gogo « renaît de ses cendres avec la publication de l'album Résurrection!. Il est grand le mystère de cette psychédélique époque où Michel Conte, soeur Charlotte, Jacques Michel, John Littleton et leurs copains en soutanes et cheveux longs groovaient des « Alleluïa » au son des guitares électriques...

Quatre décennies après la tournée des églises du Québec du spectacle sons et lumières qu'il avait conçu avec son ami François Dompierre, Yvon Hubert ne porte plus la robe. « Je ne pense pas que nous sommes allés trop loin. En fait, nous ne sommes pas allés assez loin », croit M. Hubert, qui ne se fait guère prier pour raconter la naissance et l'apogée d'un courant musical et culturel né dans le contexte du concile Vatican II.

« De 1963 à 1966, il y a eu une révolution tranquille dans l'Église. Jean XXIII et Paul VI, deux papes très modernes, voulaient ouvrir les fenêtres de l'Église, aérer une institution qu'ils estimaient trop rigide, trop vieille. »

Avec la fin de la messe en latin, le gogo, le rock et le yéyé des « swinguantes années 60 » ont décoiffé les messes du Québec du cardinal Léger. La chanson Dominique, gros hit de Soeur Sourire, avait déjà ouvert la voie aux croyants mélomanes bien de leur temps, qui voulaient sortir des églises les bondieuseries. Dans le même esprit que la comédie musicale Godspell, aux États-Unis, les jeunes Stéphane Venne, Pierre Labelle, René Angélil, Jacques Michel et bien sûr François Dompierre ont donné dans la pop chrétienne.

Yvon Hubert, certes, s'est fait connaître auprès de Gerry Boulet et Pierre Harel, comme célébrant funky de la messe rock d'Offenbach à L'oratoire Saint-Joseph, le 30 novembre 1972. « Mais c'était un événement parmi plusieurs autres! », défend le prêtre défroqué, qui pense que les messes en couleur télédiffusées à partir de 1969 ont été celles qui ont lancé la mode des messes à gogo.

« On est allé chercher des gens de talent qui sortaient des écoles, comme Michel Donato, Richard Ring, une chorale de jeunes de Vincent d'Indy... J'écrivais les paroles que je donnais à François Dompierre, qui lui préparait les partitions musicales «, relate l'ex-religieux devenu père de famille, qui s'est rendu à plusieurs reprises à Los Angeles pour des animations de veillées de prières bibliques ou gospel.

Quand Jésus était rockstar

Sébastien Desrosiers, même s'il est trop jeune pour avoir prié à l'autel des messes à gogo, cultive depuis 2007 un intérêt pour la musique québécoise méconnue. Il a puisé à même sa vaste collection de disques vinyles pour composer l'album Résurrection!, produit par les Disques Mucho Gusto, étiquette du collègue Jean-Christophe Laurence, dont la devise est « C'est toujours meilleur quand c'était bon. «

« Les gens qui ont connu cette époque se souviennent très bien de cette mouvance, des prêtres qui intégraient de la musique ou des chants yéyé à leur messe. Au fil de mes recherches, je me suis rendu compte qu'il n'existait à peu près rien qui documentait cette époque », explique Sébastien Desrosiers.

Les chansons répertoriées sur Résurrection! (aux titres aussi amusants que Dieu ne se mange plus, Pogne pas lé narfs, Coupe tes cheveux longs...) sont de psychotroniques artéfacts d'une ère résolument avant-gardiste.

Attiré par l'aspect comique du genre, Sébastien Desrosiers insiste pour dire que sa démarche était empreinte de respect. Il tenait aussi à transmettre le mélange de provocation et la recherche d'une spiritualité de cette époque où tout explosait. « Certaines de ces chansons transposent des personnages de la Bible dans des situations quotidiennes. De sorte que monsieur et madame Tout-le-monde pouvait s'identifier au prophète Pierre décrit en train de faire son épicerie ou Jésus, comme chef de gang de motards, qui sait parler au monde. »

S'il était mort, Benoît XVI se retournerait dans sa tombe, à l'écoute de cette Résurrection! d'une parenthèse olé olé de l'Église.