Comment se fait-il qu'il n'y ait toujours pas de banque de lait maternel au Québec? C'est la question que pose Josée Bournival dans Seins à louer, un documentaire de Karina Marceau sur l'allaitement, l'échange et l'achat de lait qui risque de faire jaser.

C'est après avoir accouché prématurément de sa première fille et avoir connu de sérieux problèmes avec l'allaitement que l'animatrice Josée Bournival s'est intéressée au dossier des banques de lait maternel. Lorsqu'elle est retombée enceinte, la question a refait surface: et si sa grossesse se terminait de la même manière, que pourrait-elle faire pour éviter de donner de la préparation pour nourrisson à son nouveau-né?

Plus elle enquêtait, plus elle en apprenait sur les banques de lait et sur les ressources alternatives qui poussent un peu partout. C'est alors qu'elle a contacté Karina Marceau pour lui proposer un projet de documentaire.

Karina Marceau avoue avoir trouvé sa collègue excessive et «un peu crinquée» au début. «Puis je me suis dit qu'on soit d'accord ou pas, on ne pouvait pas rester indifférent à sa proposition. Alors plutôt que de faire un documentaire classique, je lui ai dit que ce serait elle qui serait le personnage central. Quoi de plus merveilleux pour un film que la quête d'une femme enceinte pour son bébé à venir?»

Dans Seins à louer, on voit donc Josée Bournival se rendre à Vancouver pour visiter la seule banque de lait au pays - Toronto est sur le point de se doter d'une telle banque -, négocier avec une amie pour qu'elle lui donne son lait en trop qu'elle conserve de manière compulsive, rencontrer une «entremetteuse» qui facilite l'échange de lait entre les familles, et même magasiner du lait sur l'internet, sur des sites de style eBay!

Si toutes ces méthodes - à part les banques de lait - sont déconseillées par la Santé publique à cause des risques de contamination, la dernière est clairement la moins sécuritaire: dans le film, du lait commandé en Ontario arrive à moitié décongelé et, après analyse, s'avère impropre à la consommation.

«C'est clair qu'on ne sait pas ce qu'on achète sur le Net, constate Karina Marceau. Ni de qui ça vient, ni même si c'est vraiment du lait maternel.» «On a pu le faire analyser aux fins du reportage, mais madame Tout-le-monde n'aurait pas pu», ajoute Josée Bournival.

Les deux femmes affirment qu'elles n'ont pas voulu faire un film «pro-allaitement». «Je voulais vraiment axer sur les prématurés, parce que n'importe quelle femme peut vivre ce que j'ai vécu», dit Josée Bournival. Mais le biais est tout de même là, par la force des choses: on ne trouvera pas grand monde pour vanter les vertus de la préparation pour nourrisson dans ce film. Karina Marceau, elle, a beaucoup réfléchi pendant le tournage et de sceptique, elle s'est rangée à l'avis de Josée Bournival. «J'ai fait la démarche avec elle, et j'ai conclu que si j'avais un bébé et que j'étais incapable de l'allaiter, je demanderais à une amie de me prêter son sein. Directement.»

La réalisatrice a cependant voulu éviter le piège du discours culpabilisant. Mais Josée Bournival croit que si les femmes se sentent coupables «c'est parce qu'elles savent que leur lait est ce qu'il y a de mieux pour leur bébé».

Elle-même admet s'être sentie grandement coupable de ne pas avoir pu allaiter sa petite Clémentine comme elle l'aurait voulu. «Pour moi, ça reste un échec. Mais au moins, je sais que j'ai fait tout ce que je pouvais.» Pour elle, le tournage a été une sorte de thérapie... pas encore terminée. «Ça m'a fait du bien de voir que je n'étais pas toute seule à vivre ça. J'espère que ce film aura cet impact sur d'autres femmes.»

Karina Marceau s'attend à des débats après la diffusion. «Mon objectif est qu'il y ait une banque de lait maternel au Québec, indique Josée Bournival. Toutes les preuves sont là, les études sont faites, il reste juste à décider et à faire le bon choix.»

Et si vous voulez savoir si Josée Bournival a accouché à terme, si elle a pu allaiter sa petite Simone ou utilisé le lait d'une autre mère, il faut visionner le documentaire à RDI. Karina Marceau rigole: «C'est vraiment la première fois que je fais un film sans savoir comment il va finir!»

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Seins à louer, ce soir 20h, aux Grands Reportages à RDI.



Une banque pour prématurés à venir chez Héma-Québec


Dans le cas d'enfants prématurés, il est prouvé que le lait maternel est nettement avantageux pour la santé. Héma-Québec a même recommandé la création d'une banque pour les prématurés en mars 2011, recommandation qui n'a pas encore été suivie «malgré les coûts peu élevés et les bénéfices évidents pour le système de santé, parce qu'elles font faire des économies aux unités de néonatologie», affirme Josée Bournival.

Chez Héma-Québec, on ne peut pas expliquer les raisons de cette période de flottement d'un an et demi depuis le dépôt du rapport. Mais «la bonne nouvelle, c'est que le ministère de la Santé s'est montré favorable à nous donner le mandat», affirme Manon Pepin, vice-présidente affaires publiques et marketing.

Pour cela, il faut changer la loi constituante d'Héma-Québec. Même si on ne sait pas combien de temps tout le processus prendra, Manon Pepin croit que le projet de loi devrait être déposé à la reprise des travaux à l'Assemblée nationale. «C'est certain qu'on ira de l'avant, dit la porte-parole. Il faut aussi préciser que c'est une banque de lait maternel qui est destinée uniquement aux grands prématurés de 32 semaines et moins, comme il en existe en Europe et aux États-Unis.»