Personne n'attirait moins l'attention que l'architecte-artiste québécois Melvin Charney: discret, parfois même effacé. Exactement le contraire de ses oeuvres, qui font partie de nos vies et de nos villes depuis quatre décennies. Le 17 septembre, à 77 ans, Melvin Charney s'est éteint, sans bruit, dans son cher Montréal, là même où il a vu le jour, étudié, vécu et enseigné.

S'il n'est plus de ce monde, ses oeuvres, elles, continuent de vivre haut et fort leur vie d'oeuvre. Qu'il soit étudiant, sans-abri, touriste, festivalier ou manifestant, le passant qui se repose au pied des trois tours de métal géantes de la place Émilie-Gamelin, angle Sainte-Catherine Est et Berri, sait-il qu'elles sont signées Melvin Charney?

Et l'automobiliste qui pose le regard sur les formes monumentales érigées sur René-Lévesque Ouest, entre les rues Saint-Marc et du Fort, réalise-t-il qu'elles ont été conçues par le même Melvin?

Même les oeuvres «inexistantes» de Charney ont façonné Montréal! En 1976, lors des Jeux olympiques de Montréal, l'artiste est responsable d'une grande exposition d'art contemporain à ciel ouvert, rue Sherbrooke, baptisée Corridart. Il y expose lui-même d'ailleurs une oeuvre, intitulée Maisons de la rue Sherbrooke, qui rappelle toutes les demeures détruites au fil des ans par l'administration du maire Jean Drapeau, sans égard au patrimoine.

Le comité exécutif de la Ville ne le prend pas et le maire Drapeau fait carrément démanteler et détruire l'exposition temporaire... en une nuit! Résultat? Au lieu de sombrer dans l'oubli, l'affaire Corridart de Montréal est encore aujourd'hui une référence mondiale en matière de censure dans le domaine de l'avant-garde!

Architecte public

Charney ne se limite pas à Montréal. Son Monument canadien pour les droits de la personne, rue Elgin à Ottawa, a été dévoilé en 1990 par nul autre que le dalaï-lama, puis inauguré par Lech Walesa et visité notamment par Nelson Mandela. Tout premier monument du monde érigé pour cette cause, il contient notamment les mots «égalité», «dignité» et «droits» traduits dans une cinquantaine de langues des Premières Nations.

En 2004, à Sherbrooke, Charney est le maître d'oeuvre du réaménagement des berges de la rivière Magog, transformées en un espace urbain ouvert et chatoyant, grâce à l'intégration de ses sculptures géantes en acier inoxydable qui évoquent l'eau et la lumière.

Son influence va au-delà du bâti: à l'Université de Montréal, Melvin Charney a formé des tas d'architectes québécois. Il a représenté le Canada à trois Biennales de Venise - parfois comme architecte, parfois comme artiste visuel. Et tant le Centre Pompidou à Paris que le Musée d'art contemporain de Chicago ou tous les grands musées d'ici ont exposé et acheté ses oeuvres.

En 2004, le Centre canadien d'architecture lui consacre d'ailleurs une immense rétrospective, où son travail avec la photographie (qu'il pratique sérieusement depuis l'âge de 12 ans!) est également souligné. On ne s'étonnera pas d'apprendre que Dov Charney, à la tête d'American Apparel, est son neveu... Ni que sa belle-fille, une certaine Christiane Charette, soit elle aussi férue de photo.

Tout architecte qu'il soit, Melvin Charney n'a pourtant jamais édifié de maison ou de «simple» édifice au cours de sa carrière. «Me demander de dessiner les plans pour un building, c'est comme demander à un poète d'écrire des romans, ça n'a rien à voir, avait-il expliqué à La Presse en 2000. Ce n'est pas mon genre. Quand je passe devant [la place Émilie-Gamelin] et que je vois qu'elle a été envahie par les punks et les squeegees qui y lavent leurs chaussettes, je suis plutôt content parce que les pièces [les tours] tiennent le coup, ce qui est non négligeable quand on fait de l'art public.»