Dérapages poétiques, c'est d'abord une page Facebook suivie par plus de 35 000 personnes friandes de déclarations médiocres, boiteuses ou stupides, recueillies dans toutes les sphères de l'actualité. Les auteurs de cette page, qui souhaitent demeurer anonymes, enrobent ces citations de tout le prestige visuel du poème  ou du haïku. Voilà qu'est réuni le meilleur du pire dans le livre Dérapages poétiques - volume 1, publié chez Atelier 10. Les auteurs ont répondu d'une seule voix à nos questions.

Comment expliquez-vous le succès de Dérapages poétiques?

Les gens ont toujours aimé les bêtisiers, mais Dérapages est un peu plus que ça. Le succès vient de la forme. Au départ, on avait pensé mettre les citations simplement avec du texte, mais on a plutôt choisi d'en faire des images. L'effet placard fonctionne mieux. Le fait que tout soit visible d'un seul coup d'oeil, comme pour une affiche ou un slogan. La forme poétique permet aussi de laisser respirer le texte, d'en montrer les articulations et de faire ressortir l'ampleur de la catastrophe.

Comment trouver de la poésie dans la stupidité?

La poésie a toujours été une affaire de regard. C'est d'ailleurs ce qu'en disait Horace avec son ut pictura poesis : la poésie comme la peinture. Il faut faire image. Même quand on s'essayait aux belles-lettres à vouloir intégrer les codes classiques et faire du beau, les poèmes qui réussissaient étaient ceux qui faisaient image.

La stupidité fait partie de l'ordre du monde. Je dirais même que notre monde est essentiellement gouverné par la stupidité (quiconque regarde Trump en ce moment aurait du mal à dire le contraire).

Et puis la poésie est devenue cette école du regard, avec des gens comme Baudelaire, entre autres. C'était ça, l'idée des Fleurs du mal, de retrouver une grâce dans l'horreur du monde. Mais pour retrouver cette grâce, il fallait d'abord montrer, faire image. C'est pour ça que la stupidité, comme le mal ou l'horreur, peut servir de matière première à la poésie.

Maintenant, notre démarche n'est évidemment pas celle de Baudelaire, elle se rapproche plus de celle des situationnistes, du ready-made ou de la poésie non créative, mais elle part du même constat, celui d'un monde brisé qui doit servir d'objet au regard poétique.

Qu'est-ce que la stupidité apporte à la poésie (pourquoi pas!)?

Elle n'y apporte rien, au contraire, elle l'abolit, mais la poésie et la littérature doivent la regarder et la prendre comme objet pour espérer aller au-delà.

La particularité de Dérapages poétiques est d'offrir une apparence soignée à des citations qui ne le sont que très rarement. Comment trouvez-vous le résultat en livre publié?

Nous avions déjà été approchés pour la publication, mais nous avions refusé au départ. Nous pensions que le projet se suffisait à lui-même avec la page Facebook.

Nous y avons réfléchi plusieurs mois et nous avons fini par approcher l'équipe d'Atelier 10 parce que nous savions qu'elle en ferait quelque chose de beau. En commençant à travailler dessus, nous avons compris que le résultat final allait réussir à s'assembler. Le page s'aborde dans l'immédiateté, mais la somme des dérapages peut se voir grâce au livre. Les textes se répondent, ils prennent sens ensemble.

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Dérapages poétiques -  volume 1. Atelier 10. 223 pages.

Livre : Dérapages poétiques.

Livre : Dérapages poétiques.