Marie Darrieussecq aime plus ou moins les salons du livre. Elle n'apprécie pas beaucoup le bruit et le côté machinal des séances de dédicaces. Mais elle accepte toujours l'invitation du Salon du livre de Montréal, qui occupe une place spéciale dans son coeur. « C'est ma sixième visite ici. J'aime la ville et, quand je viens, c'est toujours un peu la fête », affirme l'écrivaine qui en profite pour voir des amis expatriés dans la métropole.

L'auteure de Notre vie dans les forêts est de passage chez nous alors qu'en France fait rage un débat sur l'écriture inclusive (qui féminise les métiers et les fonctions - une pompière, une électrice - et fait en sorte que le masculin ne l'emporte plus sur le féminin).

« Là-dessus, ma position est très claire, lance-t-elle. Je suis pour. J'ai signé la pétition pour l'accord de proximité et la pétition pour l'écriture inclusive. Mon fils fait ses devoirs à l'écriture inclusive. Dans la famille, on est cinq personnes : on a deux filles de 9 et 13 ans et un fils de 16 ans. Mon mari est féministe et, à la maison, on a une véritable réflexion féministe sur le genre. »

« J'ai beaucoup appris de mes enfants. Moi, je suis de la vieille école, j'en étais restée aux notions d'hétérosexuels et d'homosexuels. Mes deux plus vieux sont très queer studies, ils m'ont appris les notions de "cis" et "trans". Je trouve ça beaucoup plus efficace. »

- Marie Darrieussecq

UN SYMBOLE DÉPASSÉ

Marie Darrieussecq se dit très déçue de la position officielle du gouvernement Macron sur l'écriture inclusive : récemment, la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a déclaré qu'elle y était opposée parce que c'était « trop problématique ».

« Elle a dit qu'il ne fallait pas bousculer la langue française et que les femmes devaient être très contentes du fait que le symbole de la République soit une femme, raconte Marie Darrieussecq. Non mais c'est une catastrophe ! Marianne, c'est le même genre de symbole qu'une "pom-pom girl" ! C'est ça, la réponse officielle du président et du gouvernement ? On n'y est pas, hein ? »

L'écrivaine ne se gêne pas pour fustiger l'Académie française, une institution folklorique, selon elle.

« En France, la langue française est un monument sacré, un patrimoine national que l'Académie française tient comme un trésor, rappelle-t-elle. On est plusieurs écrivains et écrivaines à bousculer ça avec joie. Il faut dire qu'ils sont ridicules avec leur costume vert et leur épée. Et il n'y a que trois femmes ! Ils ont commencé un dictionnaire en 1986, ils sont payés avec nos impôts et il n'est toujours pas fini ! »

Parmi ceux qui s'opposent à l'écriture inclusive, il y a Bernard Pivot qui écrivait ceci sur Twitter il y a quelques jours : « Colette est l'une de nos grandes écrivaines. Colette est l'un de nos grands écrivains. La seconde formulation est plus flatteuse, non ? »

Que pense Marie Darrieussecq de ce genre de propos ?

« Pivot étant un vieil homme blanc - cela dit, je l'aime bien, il est sympathique -, il fait partie de la caste qui a beaucoup à perdre. Et ceux qui ont beaucoup à perdre s'y opposent, c'est comme ça. »

« Cette universalité avec laquelle on nous rebat les oreilles est un pré carré d'hommes blancs âgés et ça, ce n'est pas du tout universel. C'est un domaine réservé de pouvoir qui est en train d'être ébranlé et ça leur fait peur. »

- Marie Darrieussecq

À propos du mouvement #moiaussi qui ébranle également les colonnes du temple en France, l'écrivaine reconnaît que le mouvement est violent. « Et c'est normal que ce soit violent, insiste-t-elle. On a supporté des choses très violentes, nous, les femmes. En 1996, j'ai écrit un roman qui s'appelait Truismes et qui était déjà #balancetonporc. Ça ne parlait que de ça [rires]. Je suis donc très heureuse que ce discours soit reçu de façon très globale. C'est violent, perturbant, dérangeant, mais c'est bien parce qu'on entend toutes les catégories sociales s'exprimer grâce à internet. »

L'ART N'EXCUSE PAS TOUT

Récemment, dans la foulée du mouvement #balancetonporc, le nom du cinéaste Roman Polanski est revenu dans l'actualité française. L'organisme Osez le féminisme ! a appelé à manifester devant la Cinémathèque française, qui présentait une rétrospective de l'oeuvre du réalisateur à la fin du mois dernier.

« Je pense que la Cinémathèque, qui est tenue par des hommes blancs, a manqué de finesse, c'était pas le moment ! observe l'écrivaine. Il y avait un slogan formidable à la manif : "On n'excuse pas un boulanger violeur parce qu'il fait de bonnes baguettes..." Je trouve que ça dit tout. Quand on excuse Polanski, c'est une excuse de classe, de privilèges. L'art n'excuse pas. J'admire Polanski, c'est un génie du cinéma, mais ce n'est pas le moment de lui rendre hommage. Il faut être plus intelligent et sentir l'époque. Je le connais, je lui serre la main en privé, mais je pense que c'est un violeur. Il faut dire stop à ça. »

« J'ai une vision très pessimiste de l'avenir, conclut l'écrivaine quand on lui demande si elle croit qu'on atteindra l'égalité un jour. Dans plusieurs siècles, la planète sera détruite. On va manquer de temps pour arriver à l'égalité entre les hommes et les femmes. Je crains que ce progrès-là n'ait pas lieu... »

______________________________________________________________________________

Les activités de Marie Darrieussecq au Salon : samedi de 16 h à 17 h et dimanche de 15 h 30 à 16 h 30 pour son plus récent roman, Notre vie dans les forêts (P.O.L)