L'auteure, dramaturge et traductrice Fanny Britt est la nouvelle porte-parole de Livres comme l'air. Nous avons parlé avec elle de cette activité phare du Salon du livre de Montréal depuis 17 ans, qui défend la cause des auteurs persécutés et de la liberté d'expression.

Pourquoi avez-vous accepté d'être porte-parole de Livres comme l'air ?

Je savais que ça existait, des artistes bâillonnés à cause de leurs écrits ou de leur engagement, mais je ne connaissais pas ce projet. J'ai été flattée qu'on pense à moi parce que je ne m'identifie pas à un militantisme à tout casser. Mais en même temps, je suis assez obsédée par l'idée du privilège. C'est quelque chose auquel je pense beaucoup. Je me rends compte à quel point, ici, on peut se sentir facilement assis sur nos acquis. On peut facilement oublier que ce n'est pas tout le monde qui a ce privilège de prendre la parole sans voir sa vie, sa liberté, son intégrité physique menacées. C'est important de le rappeler de façon générale, mais pour moi aussi, c'est un rappel. Je pratique un métier dans un milieu o l'ego peut prendre beaucoup de place rapidement. On peut devenir dépendant du regard des autres, et on peut se sentir plus important que ce pour quoi on écrit, c'est-à-dire prendre la parole, dire notre époque, dire notre société. C'est ça, les raisons fondamentales pour lesquelles on écrit.

Livres comme l'air, c'est quoi ?

C'est une mise en contact entre des auteurs d'ici et des auteurs emprisonnés ou assignés à résidence un peu partout dans le monde. C'est un geste symbolique : les auteurs écrivent une dédicace dans un de leurs livres, qu'ils vont envoyer après qu'elles auront été exposées au Salon. On peut penser que c'est futile comme geste, mais j'ai lu des témoignages d'auteurs qui en avaient reçu et j'ai compris que c'était beaucoup. Quand tu es en prison ou assigné à résidence, de savoir que le monde ne t'a pas oublié, qu'il y a encore des gens qui oeuvrent à ta libération, ou qui savent à l'autre bout du monde que cette chose est arrivée et que c'est inacceptable, ça fait du bien.

En ces temps sombres, défendre la liberté d'expression, c'est important ?

Oui. En même temps, c'est complexe, parce que les suprémacistes blancs utilisent aussi la liberté d'expression comme moyen de défense. La liberté d'expression est cruciale à défendre, mais main dans la main avec l'empathie. Ça devrait être notre posture par défaut, comme on a une police par défaut dans notre Word.

Quand tu vois des gens emprisonnés à cause de leurs opinions et de leurs écrits, ça te fait quoi comme artiste ?

Ça m'angoisse ! Je ne peux pas admettre que le pouvoir refuse la remise en question. Le travail d'écriture est un travail de remise en question et de doute constant, et je trouve que le travail du pouvoir devrait toujours aller dans le sens de l'ouverture. Je comprends bien que le doute névrotique qui empêche d'avancer, ce n'est pas bon ! Mais le dialogue, la discussion, l'accueil de ce que l'autre a à nous dire... J'ai l'impression de dire des phrases quétaines de pensée positive, mais câline, ça revient quand même à ça, quelque part. Faire fonctionner l'humanité, ça ne peut pas passer par autre chose que le dialogue, l'ouverture à l'autre, la mise en communauté des savoirs et des sensibilités. Ça ne m'angoisse pas juste pour moi, genre, je suis une auteure et je pourrais me faire arrêter pour mes opinions, mais comme être humain, et beaucoup comme mère aussi. Je pense aux traces qu'aura laissées le régime de Trump. Qu'est-ce qu'on va dire dans 30 ans sur ces années, qu'est-ce que ça va avoir eu comme conséquences ? J'ai l'impression qu'il faut ne reculer devant aucun recul, qu'il faut se battre pour chaque petite affaire, et lâcher nos ego pendant qu'on fait ça.

La littérature est-elle un vecteur de liberté ?

Oui. Tout ce que tu peux proposer en littérature, c'est toutes les choses qui n'existent pas encore. Bien sûr, il y a de la clairvoyance et des prédictions, mais au-delà, ce que tu peux transmettre par la littérature, c'est quand même juste l'idée qu'un autre monde est possible.