La comédienne et metteure en scène belge Geneviève Damas a reçu le Prix des cinq continents de la Francophonie pour son premier roman, Si tu passes la rivière (Hamac), dans lequel un jeune homme veut apprendre à lire afin de retrouver sa mère disparue.

De la littérature, on a souvent dit qu'elle permet de voyager sans sortir de chez soi. Est-ce selon vous le meilleur moyen, à la portée de tous, pour découvrir le monde?

Tout à fait. En tant que lecteur mais aussi en tant qu'auteur. Depuis que j'ai des enfants, étonnamment alors qu'on me disait le contraire («tu verras quand tu auras des enfants, tu ne feras plus rien»), l'écriture est devenue un pilier de mon quotidien. Les enfants vous ramènent au concret, à un côté plus sédentaire et régulier; je pense que ma nature profonde est bohème et indépendante. L'écriture m'a permis de continuer à vivre cette composante de moi, à m'évader du quotidien, à vivre d'autres vies tout en restant là où il fallait que je sois.



À quel pays ou à quelle culture appartient véritablement un écrivain, à votre avis? La littérature est-elle un «autre pays»?

Au pays imaginaire, comme dans Peter Pan, au pays où tout est possible. Il ne me semble pas que la littérature soit un ailleurs. Elle est là partout pour qui s'y intéresse. Elle multiplie nos pays, nos territoires et nos espaces. Quand la vie me paraît trop étroite, je n'ai qu'à ouvrir cette porte et mon monde s'agrandit. Je pense à une rencontre que j'ai faite l'année dernière avec une bibliothécaire néerlandophone. Vous savez que dans mon pays, il y a énormément de tensions linguistiques. J'avais rendez-vous avec cette dame et j'étais assez stressée parce que je devais parler néerlandais avec elle, que je ne le parle pas très bien et que je ne voulais pas qu'elle se dise que j'étais une francophone incapable de parler le néerlandais. Les francophones de notre pays ont beaucoup de complexes. Bref. L'entretien se passe honnêtement. Et puis, la conversation dérive et nous abordons Proust. Elle sait que je suis une passionnée de Proust, alors elle a une question à me poser. «Lorsque Andrée dit à Marcel qu'Albertine a eu une liaison avec elle, pensez-vous qu'Andrée dise la vérité?» Je tombe des nues. Pour moi, Andrée a toujours dit la vérité. Oui, mais si elle mentait, me répond la bibliothécaire. Si Andrée ment, cela change tout. Et nous voilà, bien loin de nos querelles linguistiques, à démêler les relations de Marcel et d'Albertine, la bonne foi d'Andrée comme si ce trio nous reliait et nous faisait appartenir, au-delà de l'histoire et des différences, à une même famille.



Quels auteurs vous ont fait découvrir des cultures que vous ne connaissiez pas ou ont élargi votre vision du monde?

Proust, bien sûr, assurément, Salman Rushdie, Gao Xingjian, Jean Améry, Selma Lagerlöf, Shakespeare, George Eliot, Jane Austen, Emily Brontë...



Selon vous, qu'est-ce qu'un lecteur apprend sur lui-même quand il se rend au bout d'un livre?

Il apprend qu'il est un être humain relié à des milliers d'autres êtres humains dont il partage les doutes, la force et les faiblesses, la sensation de finitude aussi.



Un salon du livre offre l'occasion de rencontrer les écrivains. Pourquoi, à votre avis, les lecteurs ont-ils envie de voir en chair et en os ceux qu'ils lisent? Que retirez-vous vous-même de ces rencontres?

Je pense qu'un livre, c'est tout d'abord de l'humain et du lien social, dont nous avons terriblement besoin à notre époque. Un salon du livre est une occasion formidable d'échanger, de regarder, de partager en direct, sans écran. J'aime infiniment ces rencontres avec les lecteurs, les échanges à bâtons rompus, sans protocole, sans code, juste partager l'intime et l'amour de la littérature.



Que signifie pour vous le Prix des cinq continents de la Francophonie que vous avez reçu en 2012?

C'est un formidable cadeau. D'une part parce qu'il est décerné par un jury d'écrivains que j'estime tant pour leur engagement littéraire que pour leur combat citoyen. Mais aussi, parce qu'il m'a permis de voyager dans plusieurs pays de la Francophonie que je ne connaissais pas comme le Sénégal, la Mauritanie, Haïti, la Roumanie... Je viens d'un pays minuscule, une tête d'épingle sur la carte du monde, englué dans la crise et le repli sur soi. Ça m'a fait un bien fou d'appréhender d'autres points de vue, de percevoir d'autres combats, d'autres problématiques. Cela a élargi mon rapport au monde.

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Geneviève Damas répondra au questionnaire Archambault jeudi à 18h45 à L'Agora et participera à Confidence d'écrivain dimanche à 11h au Carrefour Desjardins. Elle sera à la table ronde L'Écriture poétique dans le roman samedi à 12h30 à l'Espace Archambault.