La dernière fois qu'Éric-Emmanuel Schmitt a mis les pieds au Salon du livre du Montréal, c'était en 2001 pour La part de l'autre. Vedette littéraire, auteur de théâtre, essayiste et philosophe, il s'amène cette année avec La femme au miroir, roman ambitieux racontant l'histoire de trois femmes vivant dans trois époques différentes.

«On a qualifié ce livre d'un retour au roman pour moi. C'est vrai que j'aime changer de genre, me mettre en danger, passer d'une pièce, à un essai, à un conte, à un recueil de nouvelles, à un film... Pour chaque fois oublier comment faire, et pour que chaque nouveau projet devienne une question de survie.»

On l'aura compris, Éric-Emmanuel Schmitt carbure à l'adrénaline. Et il s'est donné un véritable défi d'écriture dans ce roman-miroir qui suit trois destins de femmes tentant de se libérer des carcans imposés par leur époque, et qui se répondent d'un chapitre à l'autre: la mystique Anne de Bruges au temps de la Renaissance, la passionnée de psychanalyse Hanna, dans la Vienne du début du XXe siècle, et Anny, star d'aujourd'hui à Hollywood, accro à la drogue et à l'alcool.

Féministe

L'auteur, qui s'affirme d'emblée féministe, a ainsi choisi de se glisser dans la peau de trois femmes pour mieux comprendre comment une société peut broyer la différence. La nature est généreuse avec les femmes puisqu'elles ont le don de l'enfantement, dit-il, mais la société, elle, est avare. «J'ai voulu explorer la condition humaine à travers celle des femmes. Je ne pense pas que les hommes peuvent ressentir aussi intimement ce sentiment d'être réprimé.»

C'est le personnage d'Anne de Bruges, poète branchée sur la nature, qui a d'abord inspiré Éric-Emmanuel Schmitt. «Je suis passionné par le mystique. Les femmes de cette époque avaient probablement la parole la plus libre, parce qu'on ne s'occupait pas d'elles, et qu'elles se fiaient à ce qu'elles ressentaient.» Mais le bûcher n'était jamais loin...

Il aurait pu se contenter de cette seule histoire, il a préféré montrer comment il est difficile d'être une femme libre, quelle que soit l'époque. «Même Anny, qui semble avoir une liberté totale. Pourtant son corps est envahi par les autres, par les produits qu'elle consomme.»

La question identitaire est donc au coeur de ce livre. «Encore une fois», dit le philosophe, qui estime que l'identité est ce qui a le plus changé au cours de l'histoire humaine. «Dans L'Odyssée, Ulysse doit retourner à Ithaque et il redeviendra Ulysse. Il se pose sur son arbre. Aujourd'hui, on sait que l'identité, c'est du pollen, qu'on peut en avoir plusieurs.»

Ce thème, il l'avait déjà abordé dans Variations énigmatiques, pièce dans laquelle une femme avait besoin d'aimer deux hommes pour se sentir entière. «On a tous un destin tracé, par notre famille, le lieu où on est né, le milieu dans lequel on vit. Mes trois héroïnes cherchent toutes le moyen de ne plus être qu'elles, d'accéder à d'autres dimensions de leur vie, à fuir leur identité de départ pour découvrir leur multiciplicité. Ce qui compte n'est pas tant leur destination que le chemin qu'elles prennent pour y arriver.»

L'authenticité est un mot important dans la bouche d'Éric-Emmanuel Schmitt, qui la recherche chez ses personnages, mais aussi dans l'écriture. Il a donc écrit La femme au miroir en changeant d'époque à chaque chapitre, pour que les liens entre eux soient plus fluides. «C'était plus long, plus difficile à cause des choix lexicaux aussi qui changeaient d'un siècle à l'autre. Mais je ne crois pas aux romans montés, je ne crois pas à leur vérité. Ça doit être écrit comme on le lit.»

Son prochain livre n'est pas un roman, mais un nouveau conte de son Cycle de l'invisible. Question, encore une fois, de se mettre en danger. «Je me méfie de mon savoir-faire. Je sais quand je fabrique. Dans ce temps-là, je m'arrête, et j'attends quelque chose d'authentique.»

Éric-Emmanuel Schmitt sera en séance de dédicace ce soir, demain et dimanche au stand d'Albin-Michel (570).