Cette année, l'histoire est à l'honneur au Salon du livre avec deux tables rondes sur ce thème. Le XXe siècle sera revu sous la loupe du romancier par Michel Folco, Annie Cloutier et Perrine Leblanc, alors que la fiabilité des historiens à l'heure de l'internet fera l'objet d'une discussion organisée par le Regroupement des éditeurs canadiens-français.

«La fiction peut combler les trous de l'histoire», affirme l'essayiste et romancier Laurent Laplante, qui animera la table ronde sur le XXe siècle. «Pourvu que les faits qui se sont réellement passés soient respectés, les romanciers peuvent imaginer ce qu'ils veulent pour remplir ce que l'on ignore.»

Michel Folco répond ainsi à une question souvent posée, selon M. Laplante: la Seconde Guerre mondiale ou, à tout le moins, l'holocauste auraient-ils été évités si Adolf Hitler avait été admis à l'école des beaux-arts? Annie Cloutier, elle, mélange la chute du mur de Berlin et celle des tours jumelles le 11 septembre 2001. Alors que la Montréalaise Perrine Leblanc imagine la vie d'un homme, depuis sa naissance dans les camps de travail soviétiques jusqu'à la fin de l'URSS.

Mélanger fiction et histoire n'est toutefois pas sans risques. «Le problème avec une réflexion comme celle de Folco, c'est qu'on peut en arriver à comprendre Hitler et à lui pardonner. Ça peut devenir vicieux», avance Laurent Laplante.

Voilà quelques années, John le Carré a senti la soupe chaude peu avant la publication de son livre The Constant Gardener, lequel décrivait les manigances meurtrières d'une société pharmaceutique ayant fait des essais cliniques non éthiques en Afrique et des diplomates britanniques la protégeant. Son livre faisait écho à un cas célèbre, survenu au Nigeria, qui n'impliquait cependant ni meurtre ni complicité diplomatique. Il s'agissait de manquements à l'éthique beaucoup moins graves que ceux que raconte The Constant Gardener. À la fin du livre, le Carré a consacré plusieurs pages à un message personnel dans lequel il insiste sur le fait que son livre est pure fiction.

«Je trouve que ces pages sont malheureuses, dit M. Laplante. Ce qui donnait au livre sa force, c'était que la thèse était plausible. Prenez Jean-Jacques Pelletier. Quand il parle d'un cartel du diamant organisé par l'État d'Israël, on se demande si un journaliste d'enquête arriverait à la même conclusion. C'est plausible.»

Y a-t-il une limite que la fiction ne doit pas franchir dans sa manipulation de l'histoire? «Pourvu que les faits soient respectés, tout est possible selon moi, dit M. Laplante. D'ailleurs, je trouve malheureux que des politiciens se soient arrogé le droit de dire ce qui est vrai ou non dans l'histoire. En France, il est interdit de nier l'holocauste ou le génocide arménien. Je ne suis pas négationniste, mais l'histoire devrait être réservée aux historiens.»

Si le Protocole des sages de Sion (faux document juif diffusé par les autorités russes au XIXe siècle) avait été publié sous forme de roman, serait-il acceptable? «Ce qui est inacceptable, c'est que c'est un livre publié à des fins politiques et présenté comme un document authentique. S'il s'était agi d'une oeuvre littéraire, les risques que pose le Protocole des sages de Sion auraient été moins considérables. On peut comparer cela au cas de Lolita de Nabokov: aurait-il fallu l'interdire parce qu'il décrivait un cas de pédophilie?»