Poète, essayiste et aussi médecin, ce Québécois d'origine haïtienne peaufine depuis 20 ans une oeuvre littéraire qui lui a valu de nombreux prix, dont le Grand Prix international de la poésie de Trois-Rivières et le Grand Prix du livre de Montréal. L'auteur de Lettres à l'indigène (Triptyque) vit au Québec depuis l'âge de 10 ans.

Avec les nouvelles technologies et l'arrivée des médias sociaux (Facebook, Twitter, blogues...), le métier d'écrivain a-t-il beaucoup changé?

Traditionnellement, on distingue deux catégories d'écrivains: ceux qui écrivent parce qu'ils parlent bien et ont une relation privilégiée avec la parole et ceux qui se livrent à l'écrit parce qu'ils parlent mal. Les devenirs technologiques que je suis avec une attention émerveillée et passionnée participent au brouillage de ces deux catégories et à l'apparition d'une graphophobie: on n'écrit plus à la main. Que la littérature ait comme première vocation le mouvement de la main sur la page, voilà une idée qui risque de devenir obsolète. Ne serait-ce que par la résurgence des diaristes qui publient sur les blogues des extraits de leur journal quotidien. Les nouvelles technologies ont remplacé le coeur de cette relation jouissive entre la main et le papier d'où vient, je crois, la douceur du style. Le reste tient de la démocratisation du lisible et du pensable, mais nous vivons dans un manque perpétuel de syntaxe.

La littérature est-elle encore le miroir de son époque?

La littérature est le vrai témoignage de la vérité non pas par un effet de miroir, mais à la faveur d'un détour. Le texte littéraire est fondé sur le réel; à la fois et de manière ambiguë, il l'exprime, le trahit et lui est par conséquent infidèle. Non seulement par les livres publiés, mais aussi par les débats, les hommages, les polémiques et les réflexions qui agitent le monde littéraire, depuis la longue chaîne sacrée des témoins de la vérité qui s'étend depuis des siècles. Il existe une incompatibilité radicale entre les honneurs, le confort, la respectabilité et le statut de vrai témoin de la vérité. Entre ce qui doit être dit et ce qui est dit. Ce témoignage de vérité voue l'écrivain au danger, au sacrifice et à l'opprobre.

Quels sont les enjeux de notre époque qui vous touchent et vous inspirent?

Ce sont les questions essentiellement personnelles de l'intime, du salut et de la vérité, particulièrement à une époque où s'est installée la fausseté de la foule. Ces questions ne peuvent être atteintes qu'au travers d'une expérience toujours singulière. C'est celle-là même que peut atteindre la fiction. Cependant, l'expérience ne peut être toujours fondatrice d'une parole fictive. Il me semble aujourd'hui que le manque de vécu est utilisé comme un critère de disqualification de la fiction. Dans une confrontation avec l'écrivain, le lecteur cherche à retrouver les éléments de sa vie personnelle. Même s'il ne le souhaite pas, le lecteur ne peut ignorer divers éléments de la vie personnelle de l'écrivain. C'est un des effets pervers de l'autofiction qui s'autorise des confessions de type récit plutôt que roman.

À l'ère de la haute vitesse et des communications instantanées, pourquoi prendre le temps de lire et d'écrire?

Parce que la poésie met en jeu des affects vivants, des situations incarnées, des rythmes neurolinguistiques: dire à haute voix tout ce qui est le lot de tout existant. Le temps de la lecture est précieux. Proust disait que la lecture est au seuil de la vie spirituelle; elle peut nous y conduire mais ne la constitue pas. La littérature assume seulement un rôle d'incitatrice vers la vérité. Une vérité que nous ne pouvons atteindre que par le progrès intime de notre conscience et l'intelligence de notre coeur. Écrire: seul un silence entier pourrait justifier mon amour de la musique, du silence et des livres. Je ne garde pas pour moi ce silence. Je le partage dans l'acte d'écrire. Dans une langue empruntée à plusieurs auteurs mais qui, en dernière instance, n'appartient qu'au lecteur.

L'avenir du livre passe-t-il par l'édition numérique?

Un nouveau rapport au savoir émerge avec l'édition numérique. Une fois les précautions prises à savoir qui produit l'édition numérique et qui en profite, l'édition numérique peut être envisagée dans ses multiples dimensions: supports de lecture électronique, contenu scientifique, vérification et recherche, conservation du patrimoine écrit, etc. C'est une véritable mutation sociétale qui tend à annuler la valeur marchande du livre et induit de nouveaux rapports entre auteur et lecteur. L'écrit ne peut être désormais envisagé que dans ses rapports avec l'écran. Le texte est de moins en moins imprimé et l'ogre Google promet de numériser toutes les oeuvres disponibles. Wikipédia et de nombreuses bibliothèques virtuelles participent d'un vaste projet humaniste, notamment dans les transferts de savoir en direction du Sud.

Gilles Archambault s'entretient avec Joël Des Rosiers mercredi, 19h30, au Carrefour Desjardins. Celui-ci participe aussi à une «lecture croisée» avec l'écrivain Pierre Nepveu samedi, 16h45, à l'Agora Van Houtte, et à une table ronde sur l'enracinement dimanche, 13h15, au même endroit.