Auteur de romans à suspense visionnaires et ultra-lucides, Jean-Jacques Pelletier a contribué à mettre le Québec sur la carte du thriller international. Lauréat du prix Saint-Pacôme du roman policier en 2004 pour Le bien des autres, il a publié l'an dernier La faim de la Terre (Alire) et mis fin à la formidable saga des Gestionnaires de l'Apocalypse. Plus de 200 000 exemplaires de ses romans ont été vendus.

Avec les nouvelles technologies et l'arrivée des médias sociaux (Facebook, Twitter, blogues...), le métier d'écrivain a-t-il beaucoup changé?

L'internet facilite la recherche documentaire et les traitements de texte simplifient les nombreuses réécritures. Quant aux messageries électroniques, elles facilitent les contacts des lecteurs avec les écrivains ainsi que des écrivains entre eux; en ce sens, elles contribuent à réduire l'isolement de l'écrivain. Certains y ont même trouvé un public.

Les médias sociaux ont revitalisé et redéfini une partie de la critique, du travail éditorial et de la mise en marché des oeuvres. Des carrières d'écrivains, d'éditorialistes ou de critiques ont émergé dans des blogues ou des groupes de lecture.

Plus difficile à évaluer est l'influence que ces technologies auront sur l'écriture elle-même: formes courtes, renaissance du feuilleton, oeuvres mixtes (écriture et visuel)...

La littérature est-elle encore le miroir de son époque?

Une oeuvre n'est jamais un miroir exact. Chacune est colorée par la sensibilité et les préjugés de son auteur, par les milieux et les appartenances qui l'ont structuré, par ses choix d'écriture. Une oeuvre est un miroir déformant, qui sera déformé à son tour par la sensibilité et les préjugés de chaque lecteur.

Cela dit, il y a des récurrences: les thèmes abordés et ceux résolument ignorés; le choix des personnages et des situations; la prédominance de certains choix d'écriture au détriment d'autres choix...

Et puis, il faut toujours interpréter. Parfois, certaines récurrences ne traduisent pas l'état de la société, mais soulignent la dénégation qu'elle tente de faire de sa réalité.

Quels sont les enjeux de notre époque qui vous touchent et vous inspirent?

Ce qui me dérange le plus, c'est la difficulté croissante que j'ai à me faire une représentation minimalement cohérente du monde dans lequel je vis, des rapports que je peux établir avec ceux qui partagent ce monde et du sens que peut y avoir mon action.

Je suis particulièrement sensible au morcellement de l'expérience vécue auquel nous contraignent le bombardement médiatique (et son obsession des messages brefs), l'explosion des interpellations engendrée par la mondialisation et l'enfermement dans le présent qui semble devenir la règle de notre société. Tout cela engendre un phénomène généralisé de montée aux extrêmes, dans tous les aspects de la vie, l'intensité s'étalant partout comme substitut de sens. Peut-on écrire autre chose que ses impossibilités de vivre?

À l'ère de la haute vitesse et des communications instantanées, pourquoi prendre le temps de lire et d'écrire?

Parce qu'une oeuvre ne se réduit pas à transmettre des informations. C'est d'ailleurs le principal contresens sur lequel repose notre société médiatique et gestionneuse: croire que l'intelligence des choses a pour principale (seule?) condition l'ingestion d'informations exactes et pertinentes. Comme si les faits, par définition, n'étaient pas «faits», fabriqués. Qu'ils n'étaient pas des simplifications.

La littérature, comme toute oeuvre d'art, est un antidote à ce réductionnisme. Elle exige une interprétation, une reconstruction. Donc du temps. Du recul. Elle ne transmet pas des informations: elle ouvre un dialogue. C'est pourquoi elle peut rendre compte d'ambiances, d'humeurs... et traduire d'une époque ce qui échappe à la connaissance scientifique, aux clips de 15 secondes, aux textes de 120 mots.

L'avenir du livre passe-t-il par l'édition numérique?

Il ne peut pas en être autrement. Ne serait-ce que pour des raisons d'accessibilité pour les moins riches. Ou de facilité de recherche par mots-clés pour les chercheurs et les étudiants...

Cela ne veut pas dire pour autant que le livre de papier va disparaître. Mais il ne serait pas étonnant que, à terme, une bonne partie des éditions courantes deviennent électroniques et que les éditions de luxe ou de collection soient sur papier. Les papiers (ou supports de simili-papier) réinscriptibles électroniquement vont également modifier la donne.

D'un point de vue écologique, il est difficile d'être contre cette évolution, surtout si on prend en compte le gaspillage qu'entraîne la pratique systématique du pilonnage dans l'édition de masse.

Jean-Jacques Pelletier participe à la table ronde Le roman, miroir des travers de notre société samedi, 14h30, à la Grande Place. Il s'entretient aussi avec Gilles Archambault dimanche, 16h30, au Carrefour Desjardins.