De retour au petit écran après huit ans d'absence, Roy Dupuis incarne à la SRC dans Les rescapés Gérald Boivin, inspecteur de police et père de famille de 1964, parachuté en 2010. Pour l'incarner, il s'est inspiré d'un seul homme: son père.

Il y a quelques mois, Roy Dupuis a été invité avec tous les autres comédiens des Rescapés à voir un premier montage des premiers épisodes de la série. Quand les lumières se sont éteintes et qu'il s'est vu apparaître à l'écran, Roy Dupuis a eu un choc. «C'est mon père que j'ai vu apparaître. Le chapeau, la moustache, le complet, cette façon très autoritaire de décider de tout pour tout le monde. En me voyant, j'ai fait ouch! Encore maintenant, j'ai de la misère à me regarder», laisse tomber l'acteur de 47 ans dans la salle à manger de son agent. N'empêche qu'aujourd'hui, par cet après-midi caniculaire de 2010, avec sa chemise à carreaux, son jean délavé, sa barbe poivre et sel et ses yeux bleu eau de mer, Roy Dupuis ne ressemble plus du tout au monsieur coincé, autoritaire et déphasé qu'il incarne à l'écran.

Je lui fais remarquer que ce n'est pas la première fois qu'il cite son père comme source d'inspiration. Avant Gérald Boivin, il y a eu Maurice Richard et Roméo Dallaire, deux hommes que Roy a interprétés au cinéma et dont il a dit qu'ils ressemblaient tous les deux à son père.

«C'est vrai, concède Roy, ce sont trois hommes de la même génération, mais Maurice Richard, je l'ai connu et côtoyé. Même chose avec le général Dallaire, de sorte qu'en construisant leurs personnages, j'ai pu m'inspirer des modèles vivants que j'avais sous les yeux. Mais Gérald Boivin est un personnage de fiction. Pour l'interpréter, j'ai été obligé de plonger dans mes souvenirs les plus intimes. Et je peux vous dire que Gérald, c'est mon père. Il vient d'une époque où tu ne t'obstinais pas avec des hommes comme lui. T'allais à l'église. T'allais en vacances dans la place où lui voulait aller. C'était le petit roi de la maison. Il avait toujours raison.»

Sans doute parce que le petit roi chez les Dupuis ne voulait pas céder un iota de son pouvoir et qu'il refusait de reconnaître certains de ses torts, il a fini par perdre sa famille. Ça s'est passé un matin de 1977 à Kapuskasing, où les Dupuis ont vécu trois ans après avoir quitté Amos, en Abitibi. Profitant du fait que son mari était sur la route et ne rentrerait pas de la journée, Rina Thiffault a réveillé ses trois enfants et leur a demandé de faire leurs valises et d'emporter avec eux «la moitié de la maison». Roy avait alors 14 ans. Trente ans plus tard, il raconte l'incident avec un détachement mêlé d'étonnement amusé. «On s'est sauvés parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire. Mon père n'était pas un monstre, mais c'était un homme autoritaire et ça, ça ne se change pas du jour au lendemain. Ça se change à l'autre génération, à la mienne en fin de compte.»

Plus ça change, moins c'est pareil

Longtemps, Roy Dupuis a entretenu une relation tourmentée avec ce père disparu subitement de sa vie et avec lequel il s'est plus ou moins réconcilié vers la fin. Mais ce n'est pas pour lui rendre hommage qu'il s'est lancé dans le projet des Rescapés. Du moins pas consciemment.

«Je l'ai fait parce que j'aimais l'audace du propos et de la structure. Ça m'a surpris, cet objet-là. L'histoire des Rescapés est à la fois drôle et mystérieuse et puis elle parle des changements importants qui ont eu lieu dans la société québécoise depuis 40 ans. J'avoue que c'est une réflexion que je n'avais pas eue avant, mais qui m'a immédiatement attiré. En même temps, c'est une des rares fois dans ma vie où j'ai accepté d'embarquer dans un projet sans savoir où je m'en allais et sans connaître le milieu ni la fin. C'est assez particulier à vivre.»

Dupuis fait allusion non seulement à l'histoire éclatée des Rescapés, mais au fait que la deuxième saison n'a pas encore été écrite. Le scénariste Frédéric Ouellet a bien sûr une idée de l'endroit où il veut aller, mais il ne l'a pas encore complètement développée. Vu l'aspect insolite de la série, les personnages pourraient se déployer dans mille directions différentes la saison prochaine. C'est cette mer infinie de possibilités dont parle Roy Dupuis et qui, de toute évidence, ne semble pas lui déplaire.

Un homme à la mer

Il faut dire qu'il y a chez Roy Dupuis un côté aventurier qui ne s'est pas calmé avec l'âge. Au contraire. Pour la première fois de sa vie d'ailleurs, l'aventurier a un projet à long terme: celui de faire le tour du monde en voilier avec une caméra pour éventuellement tourner un documentaire.

Dupuis a commencé à faire de la voile il y a huit ans. «À un moment, je suis parti en vacances sur mon voilier. Au bout de deux semaines, je ne comprenais pas pourquoi il fallait que je revienne. Enfin, je savais bien que j'avais des engagements qu'il fallait que je respecte, mais c'est comme si toutes ces choses avaient perdu de leur importance en cours de route. Je suis revenu malgré tout et c'est là que le projet de partir sans date de retour a germé. Cela dit, je ne pars pas parce que je suis poussé par le besoin d'accomplir un défi sportif ni parce que je brûle de faire quelque chose de marquant avant de crever. Non. Quand je navigue, je ne me pose pas de questions genre: à quoi a servi ma vie. Je suis entièrement absorbé par le moment présent et tous mes malaises existentiels sont effacés.»

Après avoir pris la décision de faire le tour du monde, Dupuis est parti à la recherche d'un voilier plus solide et capable de dominer les vents et les courants violents. Il a trouvé dans le port de Québec un voilier de 44 pieds avec dériveur intégral en aluminium. Le voilier appartenait à Mike Horn, un explorateur sud-africain qui, en 2004 notamment, a fait le tour du cercle polaire à pied, à vélo, en kayak, en ski et en voilier. Dupuis a racheté le voilier qui avait été légèrement endommagé lors du périple polaire. Il le retape avec un ébéniste tous les hivers depuis. Il prévoit partir à l'automne 2011 ou au plus tard l'automne suivant. Il partira seul, mais sa blonde, la comédienne Céline Bonnier, de même que des amis viendront le rejoindre à l'occasion.

«C'est pas une course que je fais, plaide-t-il. Je veux voir le monde, des pays, des cultures, des civilisations. Je veux pouvoir m'arrêter longtemps et souvent. J'ai trop voyagé sur le rush en me disant: ah, si j'avais le temps! Là, je vais le prendre le temps. Cela dit, ça se peut très bien qu'au bout de trois mois, je me retrouve perdu au milieu du Pacifique en ne pensant qu'à rentrer, mais ça m'étonnerait.»

Les rivières

Pendant qu'il sera parti, Roy Dupuis abandonnera en quelque sorte «ses rivières», tous ces cours d'eau menacés par la pollution et les promoteurs et dont il est devenu un ardent défenseur et un porte-parole ultra médiatisé par le truchement de la Fondation Rivières.

«D'abord, ce ne sont pas mes rivières, mais nos rivières à nous tous, répond-il, et puis je ne suis pas tout seul dans cette aventure ni dans la Fondation. Mais mon tour de voilier ne changera rien au fait que je suis plus impliqué socialement que je ne l'ai jamais été. Et plus je m'implique, plus je me rends compte qu'on peut parfois, pas toujours mais parfois, faire une différence. La récupération, le compostage, la révolution écologique, tout cela, ça n'est pas rien. Moi, j'avais le choix: ou bien je ne faisais rien et je continuais d'en profiter en attendant la fin, ou bien j'essayais de mourir fier en sachant que j'aurai peut-être modestement contribué à préserver la beauté du monde. Est-ce qu'il est trop tard? Je ne sais pas. Je sais seulement que j'ai choisi de dire et de croire qu'il n'est pas trop tard.»

Roy Dupuis lance ces derniers propos avec des étoiles dans les yeux et du feu dans la voix. S'il avait les cheveux plus courts et une moustache, on pourrait croire qu'il est un rescapé des années 60. Mais ça serait mentir. À 47 ans, avec le vent du large qui l'appelle et ce nouvel idéalisme écologique qui l'anime, Roy Dupuis est décidément un homme de son temps.