Dans un champ à Minneapolis, elles ont planté 32 micros et fait chanter tous les clients d'une foire agricole. À Paris, elles ont invité le public à jouer à l'opérette. À Montréal, les gens se balancent en plein centre-ville sur leurs 21balançoires et bientôt, devant le Planétarium, les gens danseront sur leurs stèles interactives. Inconnues du grand public, Mouna Andraos et Melissa Mongiat sont les stars montantes de l'ère numérique à Montréal.

À première vue, dans le bric-à-brac de leur local industriel, rue de Gaspé, Mouna Andraos et Melissa Mongiat ont l'air de deux trentenaires comme les autres. Ni grandes ni petites, plutôt brunes et un brin timides, elles pourraient aussi bien être serveuses dans un café branché du Mile End que vendeuses dans une friperie pour hipsters. Mais Mouna et Melissa sont en réalité deux nerds du numérique, deux bolées en physique comme en informatique, émerveillées par les possibilités infinies des nouvelles technologies et vendues à la dimension la plus inclusive de toutes: l'interactivité.

Art public numérique

Deux filles de leur époque, quoi, mais surtout, deux filles en pleine ascension qui viennent d'ouvrir un bureau à New York et qui, à Montréal, ont remporté la semaine dernière le concours d'art public pour le nouveau Planétarium Rio Tinto Alcan. Chorégraphies pour humains et étoiles, titre de travail de leur création toujours en gestation, sera la première oeuvre numérique interactive qu'on installera de manière permanente à Montréal. Un bel exploit pour ces deux filles, issues de deux planètes différentes qui n'étaient pas programmées pour se rencontrer, mais qui, à leur retour à Montréal en 2008, ont tellement entendu parler l'une de l'autre par des amis communs qu'elles ont finalement décidé de se donner rendez-vous.

C'est Mouna qui a appelé Melissa. Mais, en réalité, Melissa se souvient d'une nuit pluvieuse sur le boulevard Saint-Laurent un an plus tôt, au cours de laquelle la connexion s'est faite. «J'installais des haut-parleurs pour un projet interactif. Il était tard, il pleuvait, j'avais froid et à travers la vitrine de la galerie Centrale, j'ai découvert la première expo solo de Mouna. Je ne savais pas qui elle était, mais je me souviens être restée de longues minutes, immobile et fascinée par son travail, malgré la fatigue et la pluie.»

Avec leur tête bien faite et leurs diplômes - maîtrise en design interactif de NYU pour Mouna et maîtrise en environnements narratifs du Saint Martin's College of Art and Design de Londres pour Melissa -, elles n'avaient qu'à claquer des doigts pour être engagées par de grosses boîtes comme Ubisoft ou Moment Factory. Mouna et Melissa ont préféré lancer leur propre petite entreprise de design numérique et environnemental. L'entreprise lancée en 2010 aurait pu s'appeler»On fait juste vivre avec notre époque», célèbre phrase d'Henri Chopin, poète sonore et penseur de l'ère virtuelle. Mais finalement, Mouna et Melissa ont opté pour Daily tous les jours.

«Parce que ce qui nous intéresse, dans le fond, c'est de réinventer le quotidien et de transformer la vie des gens», dit Melissa, idéaliste italo-montréalaise, diplômée de Brébeuf et de l'UQAM.

Mouna Andraos, Libano-Montréalaise, née à Beyrouth et arrivée ici à l'adolescence, est la plus réaliste des deux. Ce qui l'allume quand elle crée des installations ou des environnements au milieu d'un champ ou d'une place de béton, c'est de provoquer des échanges et des conversations entre les gens.

Le projet des 21 balançoires qui renaîtra bientôt pour la troisième année consécutive sur la Promenade des artistes, derrière la Place des Arts, visait exactement cela: provoquer des conversations à bâtons rompus entre des gens qui ne se connaissent pas, mais qui partagent un moment ensemble en se balançant en plein centre-ville et en créant, en prime, de la musique avec leurs mouvements.

«Ma mère y est allée avec une copine et elle a rencontré un vieux monsieur à qui elle n'aurait probablement pas parlé dans d'autres circonstances, et surtout avec qui elle n'aurait pas fait des harmonies», raconte Mouna.

Vision commune

Les deux se souviennent que, lors de leur première rencontre en 2009, elles ont su tout de suite qu'elles allaient travailler ensemble.

«Ça a cliqué instantanément, dit Melissa. On parlait le même langage. On avait la même vision pour la solution de problèmes et, ce jour-là, on a réussi à concevoir notre premier pitch en 30 minutes!»

Un an plus tard naissait Daily tous les jours, une entreprise qui compte aujourd'hui six employés permanents, mais dont l'effectif peut monter jusqu'à 20, selon les projets.

À Montréal, avant le projet des balançoires, Mouna et Melissa ont conçu le Musée des possibles. Sur l'esplanade derrière la Maison symphonique, elles ont installé un champ de ballons et invité le public à imaginer leur ville autrement en écrivant des propositions sur des petits cartons. Puis il y a eu le Bloc Jam, immense projection interactive de notes de musique sur l'édifice de l'UQAM de biais avec la place des Festivals. Munis de leur téléphone cellulaire, les gens pouvaient allumer et éteindre des notes sur la façade de l'édifice, muée en immense partition musicale.

D'autres projets interactifs ont suivi, comme le Big Sing Along à la foire agricole de Minneapolis, le Kit opérette à la Gaîté Lyrique à Paris, la Machine à turlute qui a fait le tour du Québec ou Memorama, installation de quatre postes d'observation rue Sainte-Catherine avec une vue imprenable et surtout singulière des 170 000 boules roses de Claude Cormier installées dans le ciel du Village à Montréal.

Mouna et Melissa ont un style bien à elles: poétique, ludique, joyeux et festif, un style qui, dans la mesure où il amuse et divertit les gens, ne les pousse pas nécessairement à agir ni à changer les choses. Est-ce à dire que Mouna et Melissa sont des artistes du statu quo? Ma question fait bondir Melissa l'idéaliste, qui croit au contraire qu'elle donne les outils aux gens pour qu'ils changent sinon leur vie, à tout le moins, leur environnement.

Réenchantement

«Moi, je crois au réenchantement, dit-elle. Ce que nos installations disent, c'est qu'au lieu de subir le béton des villes, les gens peuvent avoir une attitude plus active et se réapproprier l'espace public. Les gens ne sont pas obligés de participer. On ne veut pas les forcer ni qu'ils se sentent obligés. Il faut qu'ils en aient envie, et c'est à partir de leur envie de monter sur une balançoire ou d'activer une note de musique qu'ils peuvent déclencher des choses. On a le choix: ou bien on sort du monde parce qu'il ne marche pas, ou bien on s'active, on teste et on s'implique.»

Pour Mouna, l'idée du collectif semble primer le reste: «Nos installations invitent les gens à prendre conscience de leur environnement, plaide-t-elle, et ce qu'elles disent essentiellement, c'est qu'ensemble, on peut produire et créer des choses plus intéressantes et plus belles que séparés, chacun dans son coin.»

Même si elles viennent tout juste d'ouvrir un petit bureau à New York où elles ont déjà de nombreux contacts, Mouna et Melissa n'ont aucune intention de quitter Montréal. Au contraire. Elles rêvent de rayonner partout dans le monde avec leur poésie interactive tout en continuant à se balancer sur les esplanades à Montréal.

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Mouna et Melissa

Mouna Andraos

Née à Beyrouth en juin 1979. Arrivée à Montréal à l'adolescence. Formation: collège Marie de France, Concordia. Maîtrise en design interactif à l'Université de New York (NYU).

Melissa Mongiat

Née à Montréal en janvier 1978. Père italien. Mère québécoise. Formation: Regina Assumpta, Brébeuf, bac calauréat en design graphique à l'UQAM, maîtrise en environnements narratifs au Saint Martin's College of Art and Design de Londres.

2010

Elles fondent l'entreprise de design numérique Daily tous les jours.

Oeuvres

Musée des possibles, 21 balançoires, Big Sing Along, Kit opérette, Bloc Jam pour Mutek, Rewrite The Year, la Machine à turlute, Memorama et bientôt, au Planétarium, Chorégraphie pour humains et étoiles.