Karl Zéro, Marc Tellenne de son vrai nom, est une vedette de la télé en France, une version franchouillarde de Jean-René Dufort, avec qui il est d'ailleurs ami. C'est sa notoriété qui a motivé notre rencontre, et aussi le fait qu'il vient de signer, chez Fayard, Dans la peau de Luka Magnotta, un bouquin que j'ai détesté de la première à la dernière page, et sur lequel je voulais le confronter. Mais Karl Zéro en a vu d'autres. Pour esquiver les questions ou les tourner à son avantage, il est le champion.

Il y a un truc vraiment frustrant avec Karl Zéro, qui a animé pendant 10 ans Le vrai journal, une émission sur Canal + où il posait aux hommes politiques non seulement les vraies questions, mais aussi celles que personne n'osait leur poser.

Le truc frustrant, c'est qu'avec sa bouille ronde, son sourire chaleureux, sa voix douce et cool, le type est franchement sympa. Il faudrait se lever de bonne heure pour le haïr, ou alors ne pas se coucher.

Par exemple, vous lui dites que son bouquin sur Magnotta est de la merde ou du pipi de chat et, au lieu de vous envoyer promener ou de sortir de ses gonds, il rit aux éclats. Il vous trouve marrante, un brin moralisatrice, mais marrante.

Alors, vous essayez l'approche plus sérieuse en lui demandant de but en blanc pourquoi il a mis sa notoriété, son talent et son intérêt au service de cet enfoiré de Narcisse minable et dépeceur, et il vous renvoie à ce titre de «Personnalité médiatique de l'année» décerné à Luka Magnotta par un sondage de La Presse Canadienne, mené dans les salles de rédaction du Canada. «Ce n'est pas moi qui l'ai choisi personnalité de l'année, c'est vous!», répond-il avec son grand sourire charmeur.

Précision: je n'ai jamais été consultée pour ce sondage. L'eussé-je été que jamais, au grand jamais, je n'aurais voté pour l'enfoiré. Mais Karl Zéro s'en fout. Pour lui, en cherchant à effacer Magnotta de mon radar, en refusant de m'intéresser à son cas pathétique, je ferme les yeux et je fuis la réalité de l'époque.

«C'est une erreur que de ne pas vouloir entendre parler de Magnotta. Parce que ce mec, il te montre vers quoi on s'en va, et laisse-moi te dire qu'on ne s'en va pas vers le bonheur. Si je me suis intéressé à ce mec-là, c'est précisément parce qu'il me raconte mon époque. Le cardinal Marc Ouellet ne me raconte pas mon époque. Magnotta, si», me dit Karl Zéro.

L'époque, donc. En affichant sur le Net l'infâme vidéo qu'il a tournée avec Lin Jun, le jeune étudiant chinois qu'il est accusé d'avoir tué et dépecé, Magnotta serait un produit de l'époque et le produit, comme l'écrit Karl Zéro, «de l'hydre que l'on a créée et que l'on alimente sans cesse depuis: la Toile».

Mais de quelle époque parle-t-on au juste et pourquoi un tordu serait-il plus représentatif de notre époque que des milliards de jeunes qui passent leur vie sur l'internet et qui ne tuent ni ne dépècent personne pour autant?

«Parce qu'il est allé plus loin que les autres. Parce qu'il est l'archétype des jeunes d'aujourd'hui. Parce que notre époque, c'est le Net, et que le Net, c'est n'importe quoi. Notre responsabilité serait de mettre des barrières à tout cela et on ne le fait pas. Après ça, on s'étonne que le Net, ça donne des mecs comme lui!» dit encore Karl Zéro.

Petite pause publicitaire: Dans la peau de Luka Magnotta a d'abord été un documentaire diffusé sur une chaîne câblée française affiliée à NBC Universal. Le film est d'ailleurs sur YouTube, ce que j'ai appris à Karl Zéro et ce qui l'a foutu en rogne puisqu'il espère vendre le documentaire partout dans le monde.

Avant de se glisser dans la peau d'un dépravé, Karl Zéro avait réalisé toute une série de docus basés sur le même principe. Le premier du lot, Dans la peau de Jacques Chirac, lui a valu le César du meilleur documentaire en 2007.

Ont suivi des films sur Bush, Poutine et Castro, produits uniquement à partir d'archives, mais agrémentés de commentaires humoristiques livrés par un imitateur de la voix du sujet du documentaire.

On imagine que la formule a fini par faire son temps et que, pour la renouveler, Karl Zéro a cherché à remplacer les grands de ce monde - pour ne pas dire ces grands malades qui nous gouvernent -, mais par qui?

Un phénomène

Karl Zéro a humé l'air du temps et a senti le parfum rance d'un phénomène: celui des tueurs en série, devenus furieusement populaires grâce à la série télé Dexter. Il s'est immédiatement mis à la recherche de son premier monstre. Il l'a trouvé en la personne de Michel Fourniret, l'ogre des Ardennes, un violeur et un tueur en série qui a admis jusqu'à maintenant les meurtres de neuf très jeunes filles, perpétrés entre 1987 et 2001.

Karl Zéro n'était qu'au stade de l'ébauche de son docu sur l'ogre des Ardennes lorsque l'affaire Magnotta lui est tombée dessus, comme un cadeau du ciel ou un colis de l'enfer. Au choix.

«Ce qui rend Magnotta extraordinaire ou, si tu veux, hors de l'ordinaire, ce n'est pas qu'il a tué et dépecé quelqu'un. Des types font ça depuis longtemps. Ce qui le distingue, c'est qu'il affiche son crime sur l'internet, le média de l'avenir. En faisant cela, il pose une foutue question: où est-ce que ça va s'arrêter? Surtout que ce n'est pas demain que le Net va s'en aller...»

Karl Zéro aurait pu poser la question de mille et une façons dans son bouquin. Mais au lieu de choisir la voie de l'enquête ou du documentaire journalistique, façon Tom Wolfe ou Truman Capote, il a opté, pour ainsi dire, pour la sténodactylo. Il a commencé par fouiller les dizaines de sites que Magnotta avait ouverts sous son nom ou sous un pseudonyme. Et puis il a traduit et tout retranscrit, littéralement, pour nous livrer Magnotta dans le texte, quoi.

Je lui demande si l'étiquette de sténodactylo de Magnotta lui va.

«Oui, c'est ça, répond-il. Tout ce que tu retrouves dans le bouquin, ce sont ses mots. Je n'ai rien inventé. J'ai été sa sténodactylo, mais sans être obligé de passer à la casserole.»

251 interminables pages

C'est ainsi que, par le clavier de Zéro, Magnotta nous abreuve à mort de ses états d'âme et d'autres âneries narcissiques, quand il ne nous fait pas la leçon sur la vie, l'amour, la chirurgie plastique ou comment disparaître sans laisser de traces, lui qui n'a cessé de laisser des traces et dont l'empreinte numérique en folie causa la perte.

Plus loin, le tueur nous livre de judicieux conseils sur la façon d'entreprendre une carrière de porn star. Venant d'un type qui n'a jamais eu de carrière dans le domaine, sinon à titre de fluffer (celui qui est chargé de maintenir l'érection des acteurs), ça laisse à désirer.

Bref, au bout de 251 interminables pages, entremêlées de réflexions du pape de la résilience, Boris Cyrulnik, ou de commentaires de ce grand philosophe policier qu'est Ian Lafrenière (sic), on n'en sait pas plus sur l'époque ni sur le monstre qu'elle a engendré.

Karl Zéro venait en principe à Montréal pour une tournée de promotion, mais aussi pour assister à l'enquête préliminaire de Magnotta. Mais quand il a appris que l'enquête serait peut-être à huis clos et surtout qu'il devrait faire la file dès 4 h du matin pour obtenir son accréditation, il s'est réservé un vol pour Los Angeles. Il est passé à un autre appel, comme le font les vedettes pressées de son époque.

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Karl Zéro en accéléré:

1: Né Marc Tellenne, le 6 août 1961 en Savoie. Fils de Guy Tellenne, haut fonctionnaire au ministère de la Culture, et d'Annick Lemoine, auteure du livre Le goût de vivre: la recette du bonheur.

2: Débuts professionnels dans la bédé avant d'écrire pour Métal hurlant, Charlie Hebdo, L'Écho des Savanes et Actuel.

3: À la télé, on le retrouve à Canal +, en 1988, dans Nulle part ailleurs aux côtés d'Antoine de Caunes, puis, de 1996 à 2006, dans Le vrai journal où il pose des questions impertinentes, mélange les genres, se fout de la gueule des politiciens et devient une vedette du petit écran.

4: Marié à la comédienne Daisy D'Errata, père de trois enfants et, manque de chance, beau-frère de Frigide Barjot.