Dans la série Apparences, Vincent-Guillaume Otis tenait un rôle étonnant: celui de Samuel, jeune Montréalais normal, pas trop énervé, à des années-lumière du fou du village de Babine ou de l'hyperactif de Musée Éden. Mais c'était un rôle de composition, comme l'explique celui qui, pour la troisième année, est porte-parole de la Semaine de la déficience intellectuelle en hommage à son frère.

Vincent-Guillaume Otis ne se souvient pas du moment précis où il a découvert que Jean-Sébastien, son petit frère, né seulement 13 mois après lui, était atteint de déficience intellectuelle. Pour lui, son frère, c'était son frère. Il partageait tout avec lui: ses camions comme l'attention de ses parents, qui n'ont pas su tout de suite que Jean-Sébastien était différent.

«Je crois en fin de compte que c'est la société qui m'a appris le handicap de mon frère. C'est à travers le regard des autres que j'ai su que mon frère était plus lent à se développer que les gamins de son âge», raconte Vincent-Guillaume Otis dans le hall du TNM où, depuis quelques jours, il interprète le rôle d'Edgar dans Le roi Lear monté par Denis Marleau.

J'ai voulu rencontrer Vincent-Guillaume Otis pour une foule de raisons. Parce que c'est un jeune acteur doué qui, depuis sa sortie de l'École nationale de théâtre en 2003, n'a cessé de s'imposer. Parce qu'aucun des rôles qu'il a interprétés n'est passé inaperçu, ce qui lui a même valu au cinéma une nomination pour le Jutra du meilleur acteur, en 2009. Parce qu'il est un porte-parole convaincu et convaincant de la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle. Et enfin parce que dans Apparences, la série de Serge Boucher où il apparaît plus normal que la normalité même, Otis fait la preuve de tout ce qu'on manque en limitant les acteurs à un seul type de rôle.

N'eût été le choix judicieux de Francis Leclerc, personne n'aurait su que Vincent-Guillaume Otis, à qui l'on confie des rôles de fou, d'exalté et de personnages plus grands que nature, pouvait aussi jouer dans un registre plus sobre et plus moderne et passer pour un trentenaire séduisant et branché. Vincent-Guillaume Otis en est parfaitement conscient: «Si ce n'était Francis, personne ne m'aurait donné ce rôle, d'autant plus que Samuel ne me ressemble pas. J'ai une énergie très différente de la sienne. Avant Apparences, tous les personnages que j'ai interprétés, que ce soit dans Babine, Musée Éden ou Le déserteur, tous avaient besoin d'attention. Samuel, lui, veut le contraire. Il est en couple avec une actrice pour qu'elle gobe toute la lumière et qu'il puisse disparaître derrière elle.»

Vincent-Guillaume Otis, lui, ne veut surtout pas disparaître. Il a trop de projets et surtout, trop de responsabilités. Père de deux enfants de

2 et 4 ans, en couple avec l'actrice Éveline Gélinas, directeur artistique de la troupe pour enfants Picouille Théâtre, metteur en scène à l'occasion, caressant le rêve de scénariser un film et d'éventuellement le réaliser, Otis, qui a seulement 33 ans, se décrit comme un leader naturel qui n'a pas peur de l'engagement ni de l'action. Son frère déficient intellectuel y est pour beaucoup.

Involontairement, Jean-Sébastien a façonné la personnalité de son frère. Les deux ont fréquenté les mêmes écoles primaires et secondaires à Québec. Très jeune, Otis a pris son frère sous son aile, devenant aussi bien son protecteur attitré que son pourvoyeur de compagnons de jeu. «L'intimidation, ce n'est pas pour rien que ça vient me chercher, dit-il. Il y a eu des moments où il a fallu que je me porte physiquement à la défense de mon frère. C'est épouvantable ce que j'ai vu en termes de rejet. Les enfants sont très cruels entre eux. Mon frère y a goûté. C'était le punching bag idéal. Et chaque fois, je me demandais: pourquoi? Pourquoi ils lui font ça?»

C'est avec ce passé à la fois lourd et riche en enseignements, que Vincent-Guillaume Otis s'est présenté à l'audition de Babine en 2006. Par pudeur, Otis n'a pas soufflé mot sur son frère pendant l'audition devant le réalisateur Luc Picard. Ce n'est que plusieurs mois plus tard, après avoir obtenu le rôle du déficient intellectuel de Saint-Élie-de-Caxton, que l'acteur a avoué au réalisateur que la déficience intellectuelle faisait partie de sa vie. Au moment du tournage, la même pudeur est revenue, poussant l'acteur à éviter toute imitation. «Pour créer Babine, explique-t-il, je me suis inspiré d'un florilège de handicaps et pas uniquement de celui de mon frère. Par respect pour lui et pour le métier d'acteur, mais aussi parce que je voulais insuffler de la poésie au personnage et éviter de tomber dans la caricature médicale.»

Acteur au prénom difficile à retenir et au visage atypique, Vincent-Guillaume Otis n'est pas tombé dans la potion magique du théâtre tout de suite. Au départ, c'est la musique qui l'a happé. De 5 à 15 ans, il a fait du piano avant de s'inscrire en concentration musique au secondaire et d'apprendre le cor français. En arrivant au cégep, il a tout abandonné, rebuté par la displine rigide de la musique et par la solitude des pratiques.

Il s'est mis au théâtre comme on se jette à l'eau. Après un premier refus à l'École nationale de théâtre, il a été accepté l'année suivante, y arrivant avec deux certitudes: qu'il ferait un jour de la mise en scène et qu'il allait fonder une famille aussi unie que la sienne. Ses deux souhaits ont été exaucés assez rapidement. Mais pas au détriment d'une carrière qui a aussitôt pris son envol, tant au cinéma qu'à la télévision avec un rôle dans Annie et ses hommes et des invitations au théâtre de Denis Marleau (Othello) René Richard Cyr (Beaucoup de bruit pour rien), Olivier Kemeid (Maldoror), Éric Jean et Robert Bellefeuille, pour ne nommer que ceux-là.

«Au théâtre, on se fait souvent dire de ne pas juger notre personnage, raconte l'acteur. À cause de mon frère, ça m'est venu naturellement. Je lui en serai toujours reconnaissant. Je sais que sans lui, je n'aurais pas été le même. Grâce à lui, j'ai grandi avec le souci de l'autre et avec une bonne dose de tolérance. Et quand je dis que mon frère a été un cadeau dans ma vie, ce n'est pas de la frime. Jean-Sébastien, c'est de l'amour pur. Quand je suis avec lui, je ressens une incroyable détente. Les déficients intellectuels ne vivent pas le même stress que nous. Ils sont complètement présents au moment. Ils ont une simplicité qui nous échappe. La retrouver à leur contact fait un bien immense.»

Lorsque le rideau du TNM tombera sur Le Roi Lear, Vincent-Guillaume Otis rangera le costume d'Edgar pour partir à la rencontre d'un personnage mythique de notre histoire récente: Paul Rose. L'acteur a été choisi par le réalisateur Alain Chartrand pour l'incarner dans le film La Maison du pêcheur. Le tournage, qui dépend encore de l'aval de Téléfilm, doit se faire à la fin de l'été à Percé. Le film relate un moment charnière dans la vie de Paul Rose, à l'époque où il se voyait comme encore un éducateur populaire. Désillusionné par la brutalité de la police qui saccage «sa maison», Paul Rose décide cet été-là de se tourner vers le terrorisme.

Otis a rencontré l'ex-felquiste avant Noël et compte bien le revoir. «Pas pour entendre le son de sa voix, dit-il, pour savoir ce qu'il a dans les tripes.» Il se souvient encore de l'exposé sur la crise d'Octobre qu'il a fait en 6e année. Confondu, le prof lui a demandé pourquoi il n'avait pas choisi un sujet plus léger comme ses camarades. Le prof n'avait pas compris que Vincent-Guillaume Otis était déjà différent des autres.