Nos interviewés résident au domicile familial où le rendez-vous a été fixé. Moderne et cossu, l'édifice est situé à Panchsheel Park, quartier très riche de New Delhi. On peut accueillir plusieurs générations de cette famille multimillionnaire. Lignée dont la réputation n'est visiblement plus à faire en Inde.

Ayaan, 32 ans et Amaan, 34 ans, sont les fils d'Amjad Ali Khan, maître du sarod et instrumentiste vénéré par les connaisseurs de la musique classique indienne. Le sarod, doit-on rappeler, est un instrument de musique à cordes pincées.  À l'instar du paternel, Ayaan et Amaan maîtrisent ce luth hybride, descendant du dhrupad rabâb indien et du rabâb afghan.

En toute courtoisie, Amaan accepte de décrire le quotidien d'un musicien classique en Inde.

«Nous nous levons tôt le matin: petit déjeuner, méditation, silence, connexion avec les forces qui nous dépassent. À ce titre, nos croyances sont mixtes : notre mère est hindoue et notre père musulman. En Inde,  plusieurs musiciens voient une connexion de leur art avec la spiritualité. La musique est la continuité de la méditation, aussi un moyen d'accéder à l'élévation. Nous répétons ensuite pendant quelques heures. Puis c'est le repas du midi suivi d'une sieste après quoi nous allons au gymnase afin d'être prêts pour la musique du soir - concerts ou rencontres avec d'autres instrumentistes.»

Ayaan précise alors que la transmission du grand savoir musical classique en Inde est le fait d'une lignée sans être une garantie de succès: «Mon frère et moi représentons la septième génération familiale de joueurs de sarod. Nous y voyons une chance inestimable de pouvoir nous exprimer à travers la musique. Nous nous savons privilégiés mais, cela étant dit, notre travail doit parler de lui-même. Ainsi, nous devons répéter intensément et nous sommes toujours à la hauteur de notre dernier concert. Il faut réaliser que cette vie de musicien est un long voyage. Il n'y a pas de secret: malgré notre ascendance, il nous  faut travailler, mettre les heures nécessaires. Au-delà de ces efforts, le karma fait son oeuvre.»

À son tour, Amaan insiste sur la notion d'humilité:

«Nous devons garder la forme, éviter tout négativisme, assumer notre rôle de musicien et faire honneur à notre père. Nous ne voulons en aucun cas faire compétition à sa musique, il demeure notre gourou. Notre objectif est de le rendre fier de nous et ne jamais le mettre dans l'embarras. C'est mon principal souci en tant que fils aîné et disciple de mon père.  Ayaan et moi  avons une grande responsabilité en ce sens. Il nous faut donc fournir les efforts nécessaires afin de faire valoir notre plein potentiel. Ce qui fait la marque des meilleurs artistes, en somme, se résume au travail soutenu et à l'humilité. Plusieurs maladies peuvent être guéries, il n'y a pas de remède connu pour l'arrogance.»

Au-delà de leur carrière institutionnelle, Ayaan et Amaan Ali Khan ont une seconde vie: ils font aussi dans la fusion, un terme qui désigne l'ouverture de la musique classique à des courants musicaux plus modernes. Leur discographie compte plusieurs albums de fusion. À la télé indienne, par ailleurs, les frangins furent les animateurs des premières saisons de Sa Re Ga Ma Pa, émission grand public consacrée au talent émergent.

«Je crois, soulève Ayaan à ce titre, qu'il y a en Inde beaucoup d'espace pour l'expérimentation, tant de collaborations le démontrent. De très bonnes, d'ailleurs. La musique classique indienne a traversé plusieurs phases, elle peut aisément s'ouvrir à notre époque. Cela étant dit, nous sommes d'abord connus pour notre formation classique, et c'est dans cet esprit que nous faisons de la fusion et des musiques plus expérimentales - albums Mystic Dunes, Truth, Passion, enregistrements avec la percussionniste anglaise Evelyn Glennie ou le guitariste américain Derek Trucks, etc. Nous sommes enthousiastes à l'idée de menr ces expériences, sans toutefois prétendre à la création d'une nouvelle culture.»

À l'instar de son frère, Amaan croit à l'intégrité du musicien classique lorsqu'il s'investit dans des zones métisses, lesquelles sont une simple manifestation de continuité:

«Ce qui est remarquable pour les grands maîtres comme le percussionniste Zakir Hussain, c'est d'avoir vraiment collaboré à de multiples expériences de fusion sans faire de compromis dans leu jeu classique du tablâ. Ainsi, Zakir demeure une autorité suprême de la musique classique indienne. Il sait d'où il vient. Il sait où il va.»

Liens utiles :

La découverte d'Ayaan et Amaan Ali Khan commence sur le site officiel de la famille:  www.sarod.com

Les frères Ali Khan ont également écrit 50 Maestros 50 Recordings aux éditions Harper Collins,  ils y recensent 50 maîtres de la musique classique indienne en incluant leur père Amjad Ali Khan https://www.harpercollins.co.in/BookDetail.asp?Book_Code=2461

Liens Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=v-2CUZ8xcRk

https://www.youtube.com/watch?v=Y6tz1bJRuMA&feature=related

https://www.youtube.com/watch?v=Z7SGImuT2dI&feature=related