À son studio de répétition de Prabhadeavi, quartier de Mumbai plus communément nommé Dadar West, Taufiq Qureshi enseigne chaque mardi à des percussionnistes de très bon niveau. On y entre en pleine séance, le professeur décrète une pause et ordonne à son assistant de préparer le thé.

«Ces garçons étudient avec moi depuis quelques années. Ils deviendront probablement des artistes de fusion», explique fièrement notre hôte. Taufiq Querushi, 49 ans, est le frère cadet du grand Zakir Hussain, soit le plus réputé virtuose du tablâ indien. Leur défunt père, Alla Rakha, était aussi un grand maître de l'instrument et fut compagnon de route du légendaire sitariste Ravi Shankar.

«Qureshi est notre  vrai nom de famille: mon nom est Taufiq Hussain Qureshi. Le nom complet de notre père est Alla Rakha Qureshi. Zakir n'a pas porté le nom de famille -  le nom Hussain lui fut ensuite attribué en l'honneur de Zakir Hussain qui fut jadis président de l'Inde. Notre mère a insisté pour que je le porte le nom de famille puisque mon frère et mon père ne le portaient plus. En Inde, les mères ont toujours le dernier mot!»

Et ce, particulièrement dans les familles où le père musicien ne cesse de tourner à l'étranger et dans toutes les régions du pays.

«Même dans un contexte traditionnel, maman prenait les décisions les plus importantes. Courageusement, elle a déménagé notre famille d'un quartier pauvre de Mumbai  (Mahim) pour l'installer dans un quartier chic (Nepeansea Road). De plus, elle tenait à ce que ses filles soient éduquées comme ses fils musiciens. Au bout du compte, nous provenons d'une famille matriarcale!»

Clan matriarcal, certes, mais dont la composante masculine jouit d'une immense réputation internationale. Inutile d'ajouter que le fils cadet en avait lourd sur les épaules; c'est pourquoi il a dû se distinguer en optant pour d'autre tambours que le tablâ.

«J'ai grandi en apprenant de mon père. Par la suite, j'ai été très influencé par le jeu de mon frère, jusqu'à ce que je réalise qu'ils avaient exploité le potentiel entier du tablâ, du moins de mon vivant. De A (Alla) à Z (Zakir), ils ont tout dit ! D'autant plus qu'Inde, vous soulevez une pierre et vous y débusquez 10 joueurs de tablâ.

«Il me fallait donc trouver un autre langage, un autre alphabet, afin d'être remarqué. Pour ce, il me fallait choisir un chemin différent du tablâ. Vers le milieu des années 80, j'ai arrêté de jouer le tabla et me suis mis à composer. Je suis allé à la découverte d'autres rythmes, j'ai découvert le monde des congas, bongos, darbouka, djembé, doumbek, batterie, etc. Il y avait tant à explorer, j'ai appris moi-même ces instruments tout en m'inspirant de leurs meilleurs interprètes - Jack DeJohnette, Tony Williams, Billy Cobham, Giovanni Hidalgo et plusieurs autres. Après les avoir imités, j'ai choisi une autre stratégie: adapter ma connaissance du tablâ au jeu de ces instruments.

«Puis j'ai choisi de donner priorité au djembé parce que ce tambour africain dispose du même registre que le tablâ:  basses, moyennes et hautes fréquences. Et... non, je n'ai pas choisi d'autres instruments de percussion indienne (mridangam, ghatam, kanjira, chenda, etc.) qui comptent déjà des instrumentistes fabuleux. Par la suite, j'ai exploré les fondements de la musique indienne du Sud, la grande tradition carnatique, pour en enrichir mon jeu. J'ai créé mon propre langage.»

Ainsi, Taufiq Qureshi s'est frayé un autre chemin plutôt que de se résoudre à rester dans l'ombre du frangin et du paternel.

«Je travaille surtout en Inde, indique-t-il. J'y enregistre beaucoup pour l'industrie du cinéma, c'est pourquoi je travaille essentiellement à Mumbai. Lorsque je sors du pays, je joue avec la formation de Zakir, The Masters of Percussion. Il m'arrive toutefois de donner des concerts solo ou avec mon propre groupe à l'étranger. Je jouerai bientôt à Bali, par exemple.»

Bollywood, d'accord mais...

On comprendra néanmoins que Taufiq Qureshi peut se contenter de ce marché gigantesque qu'est celui de son pays. Tout en y demeurant critique, force est d'observer:

«Ce que qu'on voit exploser en Inde, soulève le musicien, c'est la variété associée à Bollywood. Or, la musique indienne c'est beaucoup plus que Bollywood. Je n'ai rien contre, remarquez, puisque je travaille avec plusieurs directeurs artistiques associés à l'industrie du cinéma. Mais... il est important de souligner que plusieurs excellents compositeurs et musiciens indiens n'ont que peu à voir avec Bollywood et ne comptent sur aucune diffusion d'importance - je pense entre autres à Madan Mohan, R. D. Burman ou Laxmikant Pyarelal. D'autant plus qu'il existe en Inde un public sans cesse grandissant pour la musique classique, la musique de fusion et autres genres musicaux.

«Quant à la pop de mauvaise qualité, impossible de l'éviter; la radio et la télévision s'y consacrent exclusivement!»

Liens utiles:

Taufiq Qureshi, site officiel: https://www.taufiqqureshi.com/home.htm

Taufiq Querushi, Bombay Fever, écoute en continu: https://www.dhingana.com/hindi/bombay-fever-taufiq-qureshi-songs-pop-21435d1#/

Liens Youtube:

https://www.youtube.com/watch?v=SCmb2vZdxjE

https://www.youtube.com/watch?v=S7NXe8xlX8o

https://www.youtube.com/watch?v=TwiTqg2FsUQ