Avec l'édition 2009 du Festival Montréal en lumière, ma foi, on a eu droit a un feu d'artifice.

Choisir la ville de Paris, mais choisir des chefs invités moins connus et des maisons qui ont peu ou pas d'étoiles, et proposer des jumelages inédits, parfois improbables, relevait parfois de l'aventurisme. Et pourtant ça a marché. Les restaurants étaient pratiquement tous pleins,- du moins ceux qui ont participé et surtout, ceux qui avaient un chef invité. Pour les autres, par contre....Et les clients semblaient réellement réjouis et impressionnés par la cuisine qui se fait à l'instant dans la capitale française. Une cuisine, enfin, jouissive, colorée, métissée et franchement séduisante. On semble être à la fin des préciosités. Ce que nous ont présenté les chefs parisiens en visite était une cuisine simplifiée mais pas simpliste. Dans la cuisine de Ghislaine Arabian par exemple, on travaille la mimolette avec du sirop d'érable, le dorée de mer avec de la bière.

Autre particularité de ce festival, quelques noms de chefs aux consonances bien peu «françaises»: Fatéma Hal, Alison Johnson, Petter Nilsson, Eddi Riotto. Et ces néo-parisiens, dirigent pourtant des maisons populaires et dans certains cas établis dans la capitale depuis plus de vingt ans.

Or, le thème qui rejoint tous ces invités ou presque, c'est le néo-bistrot, favorisant des produits et des vins locaux plutôt que des superstars du vignoble, et tout ça dans l'esprit d'une addition plus raisonnable. Parfois. Si la plupart des repas proposés étaient facturés en deçà de 100$ par tête pour un repas d'exception, et il s'agit bien de cela, certains ont aussi vu là, l'occasion de refaire les comptes - surtout avec des choix de vins pour le moins coûteux dans certains cas. Mais on ne peut pas les blâmer. Il faut juste y être préparé.

À souligner: le repas remarquable de finesse et de délicatesse proposé au restaurant Vertige par la chef d'origine marocaine Fatéma Hal, et dont les petites miniatures végétales ciselées avec soin ont servi de préambule à un repas marocain assez traditionnel de grande qualité. Le plat le plus impressionnant: de l'agneau braisé longuement avec un mélange d'épices dosé la main légère, du miel et de la semoule, donnant à une sauce presque limpide une qualité de transparence et de finesse inouïe.

Au restaurant La Chronique, Ghislaine Arabian était précédée d'une réputation de perfectionniste, qui impose des paramètres précis et rigoureux. Cela donnait une cuisine époustouflante d'exactitude et d'application avec des cuissons parfaites, notamment avec le poisson.

En mode bistro, le restaurant les Cons Servent accueillait le scandinave Petter Nilsson, une célébrité parmi les gens qui s'intéressent à la nouvelle nouvelle» cuisine, appelons-là ainsi par défaut. Des plats bruts, une purée de navet par exemple, servie comme une soupe. Épaisse, les parfums travaillés avec beaucoup de soin, nappée d'un trait d'huile de citron confit pour le contrepoint saisissant, et garnie de rondelles de navets presque crus et saupoudrés de cendres. Ou encore une mousse de yaourt, servi au siphon, aérienne et diaphane, servi avec des carottes cuites au foin (une spécialité de sa maison, La Gazzetta).

Et à La Porte, ce grand restaurant déguisé en bistro modeste - mais pas si modeste, on avait invité pour l'occasion le chef et la pâtissière en chef du resto Jean, qui a maintenu son étoile dans le nouveau guide Michelin. Anthony Boucher et Alison Johnson ont dévoilé une palette aromatique stupéfiante dans certains plats comme une crème de topinambours assortis d'une sorte de hachis d'anguilles fumées, qu'on a servi avec des betteraves et du pain d'épicées tranché fin comme un craquelin. Et encore davantage dans un pigeon servi sur des petites ravioles farcies de foie de pigeon et accompagné d'un jus de volaille tempéré avec du chocolat noir. Cela peut paraître excessif. Mais si l'harmonie fonctionne, et si le chocolat apporte l'amertume, une pointe d'acidité, un velouté dans la texture, pourquoi pas? Et cela fonctionnait. La viande de pigeon est déjà légèrement cacaotée, le chocolat, il fallait y penser. Mais il s'agit surtout de jouer avec une grande délicatesse quand on joue dans ces eaux troubles. Il y avait du reste, beaucoup d'audace dans la cuisine présentée à ce Festival. Mais pas de témérité frivole. On sentait toutefois un réel désir de faire avancer la cuisine, de briser des chaînes.

Des tendances

Des produits: betteraves, panais, navets, (en fait beaucoup de légumes, qui l'eût cru en cuisine française?) Mais aussi des condiments comme les piments, chocolat amer, citron confit, et même de la... cendre!

Des saveurs: de l'amertume «sous contrôle» presque partout, de la chicorée en crème glacée de Madame Arabian, à l'aubergine du turbot de Anthony Boucher, en passant par la bière de garde, la courge en dessert de Petter Nillson et la sauce chocolatée du pigeon de Anthony Boucher et un étonnant sorbet au thé fumé de Chine.

Des plats: des purées légères ou épaisses, un travail important sur les textures, des noix caramélisées ou non, craquantes, utilisées pour les contrastes, des huiles aromatisées (au citron confit, au citron vert), des huîtres partout, souvent servies chaudes, du boudin et du Speck!

Des vins: même si la tendance à choisir des crus moins connus et surtout moins coûteux est manifeste, certains restaurateurs ont insisté pour ajouter des cartes de vins prestigieux (et chers).

Mais heureusement, plus d'un ont choisi une double formule qui permettait à ceux qui en avaient les moyens de prendre l'accord mets-vins prestigieux et ceux qui ne les avaient pas de rester modestes. Cependant il était difficile de ne pas choisir la carte en entier, les sommeliers se sont fait pressants. Une note ludique de plus : un menu entièrement Champagne, proposé au restaurant Bu pour accompagner un menu entièrement risotto, parlez d'audaces! Et malgré quelques hic! ici et là, on sentait l'enthousiasme dans chaque présentation.